L’écrivain imaginé

Je sentais son regard se lever dans ma direction et retourner à sa feuille pour y écrire quelques mots. Je n’avais qu’une courte fenêtre de temps pour agir, et dès que je le voyais pencher la tête, j’enlevais mes doigts de devant l’objectif sous la table et je mitraillais un coup.

Je me suis plu à nous imaginer dans une même histoire, où l’on s’inspirait l’un de l’autre. L’écrivain qui écrit sur l’inconnue qui lit devant lui contre le mur d’en face, et elle qui guette les occasions de voler son image. Qu’elle rendra floue de toute façon, et qu’elle sait déjà belle, ce qui l’excite.

Entre chaque tentative, elle replonge distraitement dans un petit livre bleu presque noir – s’il a d’assez bons yeux, il en aura distingué le titre, Jean-Bark. Et si ce qu’elle a aimé croire est vrai, il aura sûrement écrit quelque chose sur ses yeux à elle, c’est ce qu’on remarque le plus souvent dans son visage.

Ce qu’il n’aura pas pu écrire, c’est que le long foulard enroulé trois fois autour de son cou a été fait par son amie Anna, qui le lui a offert quand elle lui a dit qu’elle le trouvait beau. Pas plus qu’il n’aura écrit que le cache-col qui s’y emmêle, une dentelle de laine gris-bleu, lui vient d’une autre amie, Anne, qui l’a fait expressément pour elle. Ni non plus que depuis très longtemps, dès que la température se refroidit de quelques degrés, elle en met plus que moins sur sa gorge sinon elle se sent nue. Ni enfin combien porter des choses faites par des femmes qu’elle aime lui inspire le bonheur.

Si ça se trouve, c’était un maître d’école qui notait des copies d’élèves. Mais c’est sans importance pour elle, l’imagination étant une si tendre maîtresse.

20 réponses à L’écrivain imaginé

  1. 'vy

    J’adore te lire Caroline, j’ai envie de faire s’envoler mes mots pour qu’ils tournoient jusqu’à toi. C’est si beau tout ça. Tes yeux qu’on remarque n’auront échappé à personne. Non non, c’est un écrivain, sûre et certaine, je suis. Il a écrit quoi Jean Bark que je ne connais pas ? Et la photo de l’écrivain est superbe, On dirait Tolstoï en train d’écrire Anna Karénine, version troisième millénaire. Et puis tout ce que tu portes autour de ton cou… tout cet amour… C’est moi qui voudrais être par chez toi, et j’ai pas d’avion non plus.

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    • Caroline D – Auteur

      Pourtant, ils m’arrivent toujours en tournoyant tes mots…
      Pour le livre, j’ai fait une erreur dans le texte, j’ai oublié le trait d’union. Le titre du bouquin est Jean-Bark… voilà, c’est corrigé… Il s’agit d’un petit livre écrit l’an dernier par Philippe Claudel, en hommage à celui qui fut son éditeur et son ami, Jean-Marc Roberts.
      Et pour la grosse ferraille volante, on devrait peut-être s’en acheter un à deux…

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    • Caroline D – Auteur

      Thank you Harrie. It was a fun one.
      And I always cheat a little when I steal someone’s profile or face… I carve just enough to make them unrecognizable.

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  2. Ah, Caroline, combien de fois ai-je joué à ce jeu là, d’imaginer l’autre, d’envisager, de remarquer un regard, la grace d’une nuque, d’une fossette, et d’en tirer parfois la trame d’un personnage. L’imagination nous sauve.

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  3. oh c’est superbe, caroline car ça me fait penser aux photos que j’ai prises d’une jeune serveuse dans la pénombre d’un restaurant il y qqs années……photos ‘volées’ et naturellement floues de cette jeune femme dont les cheveux bruns lui tombaient en cascade jusqu’aux hanches……..un rêve………éveillé

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  4. Tes mots glissent doucement et m’ emmènent dans cette brasserie. Tu traduis si bien les atmosphères , les gestes à peine ébauchés, les sourires intérieurs. Et cette photo si contrastée qui me plait tant.

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  5. jérôme

    L’un écrit, l’autre photographie. Chacun prend et donne, a besoin de l’autre pour continuer. C’est un article qui me plait particulièrement car j’ai été longtemps fasciné par un homme que je voyais écrire tous les jours dans un café. Mais je n’ai jamais pensé à le prendre en photo, contrairement à toi.

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