Le cuir solide

C’est vrai que tout de suite au premier regard, on ne pouvait faire autrement que de remarquer, autour de ses yeux vifs, sa peau brune et cuirassée. Et les plis francs de son visage.

Je l’ai d’abord vu de dos. Il marchait lentement sur le trottoir glacé, appuyé sur sa canne et sur son corps d’homme fort. Poussée par le grand froid, je l’ai dépassé sans ralentir. Puis il m’est venu que je l’avais peut-être brusqué, ou déstabilisé. Je me suis retournée en m’excusant.
Il m’a souri, le regard tendre.
– Je n’ai senti aucune menace, m’a-t-il dit d’une belle voix chaude.
J’ai voulu qu’il me parle encore. Sa lenteur dans le froid extrême m’a fourni le prétexte parfait.
– Vous avez froid?
– Frais, qu’il a dit en appuyant bien sur le mot. J’ai grandi sur une ferme, on passait nos hivers dehors, entourés de chevaux. J’ai le cuir solide.
On souriait tous les deux. Et en même temps qu’il parlait, j’enregistrais de mon mieux dans ma mémoire.
On s’est souhaité une bonne journée. J’ai continué sur mon élan. Puis j’ai vu. L’occasion ratée. Je me suis retournée en me disant que je pourrais m’arrêter et attendre qu’il me rejoigne. On parlerait un peu encore, en marchant côte à côte.
Mais il avait rebroussé chemin. Lui qui n’était sans doute sorti que pour une bouffée de fraîcheur.

Photo : L’HIVER-PATIENCE * Montréal * Février 2019

7 réponses à Le cuir solide

  1. combien de fois n’osons-nous pas aller au delà des ‘conventions’ alors que l’en-vie est là, si belle……….laissons-nous aller à la Vie!
    merci pour ce moment qui nous le rappelle, douce toi!

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