Tu me diras comment c’est venu fendre l’air et comment tu as perdu pied. On parlera alors de nos parfums d’enfance et du vent qui s’entête à tout éparpiller. Et on finira par se dire que l’amour est indéchiffrable tant il se laisse imaginer.
Photo : LE LONG DES MÊMES JOURS – Juin 2024 * Montréal
Bien sûr, une échappée. Toi aussi t’es une éperdue. On est pareilles. On franchit des ruisseaux puis un jour on s’arrête. Quelque part où ça sent sauvage, avec les bras remplis d’oseille.
Au début c’était la marmaille. Plus tard, un bel escargot blanc. Tout ça en continu. Jamais bâillonnées, toujours transparentes. Et puis un soir, tu as ramassé un caillou et écrasé une limace, comme une nécessité. Je dis un soir, mais c’était peut-être un matin. Je me souviens seulement de quelque chose de parallèle, un peu éblouissant, un défrichement difficile à traduire.
Qu’on soit fécondes et dissemblables, tout ça allait de soi. Faites de diurne et de nocturne. Laquelle des deux, quelle importance. On empruntait à l’intangible. À l’invisible aussi.
C’est en marchant dans la ruelle que l’image m’est venue. Une image de nous qui tentait de s’évanouir. J’ai pensé au silence et j’ai pensé aux éléphants. Puis à ces histoires qui nous sauvent.
Hier, à la place d’insulte, j’aurais pu écrire méprise. T’as raison, ç’aurait été plus tendre.
Ados, dans les années soixante-dix, on avait le fleuve pas loin et le ciel à hauteur des yeux. De temps en temps, le parfum âcre des usines se rendait jusqu’à nous. Souvent au milieu de la nuit, on entendait les pas de la femme d’en haut. Si mon souvenir est bon, ça te réveillait plus que moi. Mais c’est peut-être le contraire – je ne suis jamais trop certaine de qui est toi et qui est moi. Hier soir au téléphone tu m’as dit que tu t’habituais aux vagues sous nos yeux. Et tu m’as reparlé du jour où on n’a pas voulu de toi, mais bien sûr à l’époque on était des enfants. Avant de raccrocher, on s’est dit que l’espoir se comptait en rivières et qu’on aimait encore la brume. Je ne sais plus qui a dit quoi.
La littérature, on ne la lit jamais qu’avec l’histoire qu’on est en train d’inventer pour soi-même, qu’avec l’histoire en perpétuelle gestation de sa propre vie. Suzanne Jacob _
Il est beau le petit bouleau. Japonais, le petit bouleau. On le baptise? T’as proposé Yoko en pensant à celle de John. C’est bon, que je t’ai dit. Et je t’ai parlé d’Ogawa.
La semaine sera bouillante. En attendant, est-ce qu’il est fini pour de bon le temps des hirondelles, celui d’avant, où on décriait la bêtise?
J’ai pris le vent et son image et j’ai continué à écrire. Il n’attend rien, le vent. Il est bienheureux de souffler. Écris, que je me suis dit, écris pendant que tu le peux et laisse le monde à son insulte.
Photo : DE LOIN DÉJÀ SON ÉLÉGANCE – Hier * Montréal
Le vieux bois, les vieilles marches. Et les pieds qui reposent.
De toute manière, entre la langue qui se défait et l’instrument de l’heure, la pâleur du temps y dit déjà tout ce qu’il faut. On court après l’étreinte, l’orfèvrerie des fleuves. Et on rêve de sevrer les gourmands de la cour.
Le soleil effleure un nuage. J’attends qu’on vienne me chercher.
Photo : L’IDÉE DU VENT – Juin 2024 * Petite Nation
C’est le même chemin de rivière. Ça vient du même endroit, de la même existence. Tu t’en doutes, je sais. Un sentier de pierres et de mots. Tu sous-entends la rive et moi j’y vois le temps. C’est pour ça, dirais-tu, qu’on s’y jette vivants.