Elle était belle dans le blizzard.
Et quand la rafale a soufflé,
j’ai voulu attraper le vent
qui jouait dans ses cheveux.
Mais il était déjà trop tard.
Mois :janvier 2014
Une vie plein la tête
Son cerveau génère des images
mais ses yeux ne voient plus, madame.
Après 91 ans, d’un coup,
à cause d’un peu de sang
là où le cerveau sait y voir,
ma tante ne reverra sans doute plus le monde.
La même chose, de l’autre côté,
s’était produite il y a cinq ans.
Ça y est donc des deux côtés.
C’est arrivé il y a dix jours.
Elle a le coeur gros.
Mais elle a continué de rire.
Et de me faire rire.
Elle est où ma main, ma tante,
la voyez-vous?
Deux ou trois secondes s’écoulent
où ses beaux yeux bleus cherchent en vain.
Puis elle saisit l’occasion.
Accrochée après ton bras…
Et moi qui éclate de rire.
Et elle qui sourit de triomphe.
PLUS HAUT PERCHÉE – Sur le toit de la Maison Smith (Mont Royal, Montréal, novembre 2013)
Une montagne, des citrons et du chocolat
Une montagne.
Pour y être et marcher.
Seule ou pas.
Et sur une île déserte,
je voudrais du millet, des oignons, du miso et des citrons.
Je sais, je sais, c’est grano, mais c’est ça.
Et des pommes aussi.
Des spartan ou des cortland.
Pour le reste, j’ai en masse de stock dans ma tête.
Euh, à bien y penser, peut-être aussi quelqu’un à aimer de temps à autre.
Et un morceau de chocolat noir.
Avec le temps
Je fantasme sur une vie plus tribale
où tout se ferait sans qu’on y pense autant.
Moins de cérébral. Pour plus de coeur.
Plus de gestes. Vers la terre et vers l’autre.
Et à chacun son temps.
De naître.
De prendre soin.
D’être soigné.
Et de mourir.
Ce serait simple. Et plus aisément heureux, il me semble.
Un monde où le temps serait de l’amour.
Plutôt qu’on sait quoi.
Tout plein d’enfants qui jouent
près de vieillards qui chantent.
J’appartiens à l’espèce prétentieuse.
Trop certaine de faire mieux que les chiens et les singes.
Et souvent oubliante qu’avec le temps, de toute manière, tout s’en va.
Lecture et bottes de pluie
Il était beau à voir.
La tête appuyée contre la cloison de métal,
complètement absorbé par son roman.
La tuque enfoncée bien bas
et le menton enfoui dans un énorme foulard rouge.
Et elle, tout aussi belle.
Ses longs cheveux roux détachés.
Sur un audacieux mélange de couleurs.
Et sa désinvolture tranquille qui venait couronner le tout.
La liberté sait y faire, je trouve.
Et je n’ai pas pu résister.
Dépouillement de saison
Je suis éblouie chaque fois
par la force-nature qui bat
au coeur de ma ville.
Ce doit être un secret pour plusieurs,
car par rapport à la masse urbaine
toujours si peu de gens y sont, il me semble.
C’est tant mieux pour moi.
Mais pour la conscience à long terme,
c’est peut-être pas très payant.
Un lundi sur la terre
La neige a tellement fondu ces derniers jours.
Il ne reste d’elle que des amoncellements souillés
et de longs trottoirs glissants.
Je me répète sans doute, mais j’aime les traces que laisse le temps qui passe.
Peut-être de la même manière que j’ai un penchant pour les vieux,
pour cette histoire qu’ils portent en eux.
Ce mur, rendu plus beau encore par cette jeune femme venue attendre l’autobus.
Le vivant, qui insuffle l’âme. La raison d’être de ces ouvrages.
Ici, sur cette planète belle et solide qu’on bardasse trop.
Et plus près, dans cette ville où continue de régner la paix.
J’y pense de plus en plus souvent. C’est comme ça.
Le conditionnel présent
Le temps qu’on a perdu
Le fun qu’on aurait eu
À le laisser passer simplement
(Michel Rivard)
Je me suis dit que ça valait d’être dit
et que je n’aurais pas fait mieux
si j’avais voulu parler,
mais seulement si,
des choses et des sentiments
qui ne servent pas à grand-chose
si ce n’est peut-être qu’à nous rappeler
leur inutilité
et ce qu’on perd peut-être
à trop les regarder.
AU PIED DE LA MONTAGNE, DU CÔTÉ DE L’AVENUE DU PARC – Décembre 2013
Jour de janvier
Les rues brillent ce matin.
La pluie tombe et creuse des rigoles dans la neige qui restait.
Et tandis que je la regarde, je m’demande si je dois faire fondre
le petit bout de glace bleue qui s’est accroché à mon coeur.
Bien sûr que la beauté peut naître
de l’effort et la volonté.
Mais elle émerge si souvent
dans les rencontres improvisées.
Un lieu, des gens, un moment.
C’est plutôt là que je la trouve.
Le hasard est doué.
CROISEMENTS D’ÂMES PAR UNE VITRE D’AUTOBUS – Montréal, janvier 2014
Un mystère élastique
J’arrive d’une belle et longue marche.
Le temps s’est adouci, le froid n’est plus brutal.
Ça fait ma joie, évidemment.
Et d’avoir ce corps aussi, qui avance à volonté.
On existe.
On s’arrange.
Du mieux qu’on peut.
Dans ce monde, pour mystérieux qu’il soit.
Si on me demande, je dirais à souhait.
Déjà, que tout soit en mouvement.
Le coeur, le temps, le vivant.
Que rien ne reste pareil, jamais.
Et que tout puisse changer.
Entre autres et surtout peut-être,
le regard que je pose.
D’où le pourquoi j’en fais, c’est vrai,
ma plus belle astuce, ma douce gymnastique.