Hier, au marché
une âme bohème
vendait des poèmes
« poems made-to-order » disait sa petite affiche
j’en ai commandé un
il voulait quelques mots, un souffle
j’ai dit autumn, uncertainty, the beauty of uncertainty
et avec juste ce qu’il fallait de promesse dans le regard
il m’a dit « give me fifteen or twenty minutes »
je me suis assise au soleil et j’ai regardé vivre le monde
quand j’ai récupéré mon poème contre la somme demandée
je lui ai dit que j’attendrais d’être chez moi pour le lire
« have a beautiful evening » he very gently said
« you too »
je l’ai lu en marchant, c’est tout moi de ne pas attendre
il est beau son poème, un peu triste mais beau
surtout les derniers vers
entrecousus qu’ils sont de douceur et d’espérance
Mois :septembre 2015
L’espace devant
Euphories
je revenais d’aller voir Gaby
on suivait le même trottoir
agitée, désorganisée dans ses mouvements
elle zigzaguait mais c’était pas l’alcool
elle bougeait vite et par saccades
sûrement la meth ou une cousine
mais voilà que dans la lumière
jusqu’à sa fumée d’cigarette
tout exaltait la poésie
à m’enivrer, j’avoue
partout y a moi et mes images
non mais quand même son sautillement
pareil à celui d’une enfant
je l’aurais prise dans mes bras, bercée si elle avait voulu
j’la voyais à la fois perdue et belle comme l’automne
et dans son visage quand elle a traversé la rue
à la dernière minute
sa tendre jeunesse
et le hagard et le dur
Matin de saison
il faisait chaud hier
et ce matin
j’ai ouvert la porte sans m’y attendre
je le savais pourtant
la radio l’a dit toute la semaine
samedi sera la dernière
ça y est, l’air est d’automne
douze degrés d’moins du jour au lendemain… brrr…
mais ça me va, je sais qu’il me sera bon le vent froid
et je m’souviendrai de l’été
comme d’un été de grands changements
bourré d’amour, d’ici et d’ailleurs
là maintenant, devant chez moi
ces grands rayons qui raient l’asphalte
et tout ce soleil sur les arbres
j’vais aller voir Gaby, ça fait trop de jours
je pense à lui et je sais qu’il pense à moi
c’est dimanche après tout
et la marche sera belle
bonjour l’automne
Au sortir de la vague
parce que je sens
que mes mots ne sauront
que si peu ou bien mal
refléter l’émotion
qui a touché mon âme
et qu’aussi je sais
qu’attirés qu’ils sont
par la lame de fond
ils pourraient s’éloigner du coeur
et aller se perdre en eau trouble
je tente la voie du silence
et celle aussi de la confiance
en la tendresse et les grands vents
La belle intruse
on arrive du marché
avec des bleuets, des fraises encore
des maïs et des pâtissons
ici, maintenant, c’est l’apogée de l’abondance
jamais je n’ai eu hâte à l’automne, c’est vrai
mais j’aime l’automne
je l’aime comme on aime quelqu’un à qui on ne pense jamais
et qui s’pointe chez vous un matin sans invitation
avec un bon vent dans les mains, de la lumière dans les cheveux
et un sourire qui vous embrule l’âme
bien sûr que vous le laissez entrer
non mais sans blague, comment ne pas aimer l’automne
seulement il m’annonce le froid et tous ces vêtements sur le dos
et pour ça, je lui reste un peu rebelle, comme je le reste à l’hiver
ah mes saisons de tiraille
avec vos grands et lourds sabots
et votre immense force d’éveil
l’été est trop court à mon goût
mais quand même jusqu’au bout de moi
j’aime qu’il y ait les saisons
Des oiseaux et des hommes
on a entendu des bernaches
tôt ce matin près d’la maison
elles redescendent vers le sud
c’est le moment de la saison
puis on a entendu des hommes
et on s’est dit qu’ils étaient fous
vénaux ou faciles à berner
pour continuer à tant vouloir
de ces choses qui n’ont rien à voir
avec l’amour et la beauté
on joue fort pour nous émouvoir
et nous rendre aveugles et perfides
dans la finance et ses couloirs
je nous trouve bêtes et sordides
on a vu voler des bernaches
toutes dans la même direction
elles remonteront vers le nord
quand sera venue la saison
Nos bôzoublis de soi
d’un bord on se dit tout sur des murs et des dalles
et de l’autre on se perd de détours en dédales
je nous aime les humains
dans nos lieux les plus bruts
nos poses les moins léchées
nos beaux oublis de soi
et je nous trouve beaux
quand nos corps s’abandonnent
et que nos coeurs se donnent
ce doit être pour ça
que j’aime tant et toujours
les vieux et les beaux fous
et les-ceuze-dans-la-marge
qui-n’attendent-rien-de-vous
car au fond, faut s’le dire
en rire ou en délire
qu’y a-t-il d’autre à perdre
que la vie et l’amour
La tortue rigole
Vous pleuriez?
Eh bien! riez maintenant…
Sa façon trouvée d’être heureuse était de l’être.
En dépit des dissonances.
Et malgré toutes les raisons qu’on lui offrait pour ne pas l’être.
Car, pensait-elle, avec autant de théâtres de douleur et d’effroi
s’il faut qu’au jeu du bonheur, je ne me prête pas
le risque est colossal que je ne le sois pas.
Et c’est ainsi qu’elle s’ingéniait sur les planches de chaque jour
à tailler un regard où exultait l’amour.
Et à en rire, évidemment.
Le fruit du jour
Tu flânes dans ta ville, le pied léger. Depuis le matin, ton unique souci a été de t’assurer que tu aurais assez de temps pour une grande marche. La circulation s’intensifie, les gens ont fini leur journée de travail. Tu passes le long d’un jardin communautaire où trois coeurs paysans s’affairent chacun dans un carré de terre. Tu les regardes faire un moment, ils ont l’air heureux. C’est l’abondance en cette chaude fin d’été, et ils ne sont venus sans doute que pour cueillir quelques légumes pour leur repas du soir, et un brin de paix aussi. Tu suis surtout les petites rues, et tu fais exprès d’en prendre que tu connais moins, pour le plaisir de la découverte. Un peu plus loin, tu traverses le parc Lafontaine. Adossé à un arbre, un homme joue de la guitare. Des enfants courent sur le bord du petit lac et des goélands crient en se disputant les bouts de pain qu’on leur lance. Et par dizaines, touristes ou pas, on profite du soleil de fin de journée. Te voilà maintenant sur une grande avenue. Ça bouge vite autour de toi, les vélos, les piétons, les voitures. Des gens pressés d’arriver à la maison. Et tout ce temps, tu marches, l’esprit et le coeur tranquille. Tu ne t’inquiètes de rien. Tu penses par moments à ceux que tu aimes, certains plus près, d’autres plus loin, en espérant qu’ils vont bien. Et tout ce temps aussi, tu sais que tu as de la chance. De vivre dans cette ville où il y a tant pour être heureux. Et assez peu de raisons d’avoir peur ou d’avoir faim.