L’indompté

Pour Nate.

Les ombres ne volent pas la lumière.
Elles s’exilent et reviennent d’entre les heures claires.

J’ai remonté le store sur la ville mouillée.
J’avais deviné juste et ça l’a fait sourire.

Bien sûr, j’irai marcher quand même.
Je passerai près de l’arbre mort et verrai sa moelle noircie.

Il pleuvait fort hier aussi.
C’est le printemps, que tu me dis, et la terre qui en jouit.
Un peu de gris et de lourdeur, au fil des saisons et des corps.
Et tout ce qui change à son heure.

Là dans l’instant, c’est le piano. L’oubli et le piano.
Avec la même voix. Où je trouve chaque fois de quoi faire jaillir
l’indompté. Le même rêve de l’oiseau et d’y prendre le ciel.
Le même désir au ventre pour chaque coulée vive.
Malgré chaque tourment. Et l’envers de tout.

·


Photo : Il Y A TROIS JOURS, RUE CHATEAUBRIAND * Mars 2021 – Montréal

Les grands habits

Déshabiller même l’image, celle qui cherche à dire.

La folle élégance des roses
et le peu encore que j’en vois –
comme de la nuit autour de moi
restée fidèle au monde –
et du temps, du temps dans sa veille,
qui prépare chaque fois le matin.

Le désir a de grands habits,
mais c’est vrai : je pourrais être nue
et les heures n’y perdraient rien.

Photo : CHALEUR D’ÂMES – Mars 2021 * Montréal

En beau ruisseau

j’ai raté la grande porte
celle dont tu rêvais
t’es passée tout droit, tu dirais

et moi qui n’y pensais jamais
pas comme au temps qui passe vite
et au printemps qui s’en revient
aux oies sauvages qui crient là-haut
dans le ciel du retour
et pas autant qu’à toi

ça coule en beau ruisseau ici
et si jamais le coeur appelle
de la rue ou la nuit
on partira plus tard, c’est tout
y a pas de quoi s’en faire

·


Photo : LA BISE – Mars 2021 – Montréal

Et pourtant les oiseaux

Il y a l’impétuosité du temps.
Et l’enfant tendre, qui ressent les maux de la terre.

Autant de survivances claires,
comme tes yeux qui savaient mais demandaient quand même.
Et ce bout de ruelle où on se sera croisées.

Tout ce qu’on prend comme des voleurs.
Et pourtant les oiseaux –
et tout l’amour qui nous ressemble.

Photo : Pour Estelle – Mars 2021 * Montréal

Les matins ordinaires

là, maintenant
c’est aussi juste qu’un hiver
qu’un tapis collé au trottoir
blanc de blanc
clair de clair
c’est mon café qui goûte bon
et le ciel qui ne retient rien

et c’est une pensée pour ma mère
pour les colliers d’eau claire et les volées d’oiseaux
les matins ordinaires qui suffisent à se vivre

le printemps s’en revient
qui ne demande que ça

·


Photo : L’HIVER PASSE – Mars 2021 * Montréal

Butinances

et je vois partir dans la nuit
tous mes petits tombeaux –
de ceux-là qu’on invente
pour donner une pitance
à nos maigres passages –

et ô combien ça reste vrai :
je ne veux rien que d’être,
d’errance en errance, d’amour
en amour, de fleur en fleur,
de soleil en soleil –
tout le reste au fond
m’indiffère

et si ce n’était du mystère
qui pénètre le monde, je ne
me perdrais pas en butinances
vaines –
car l’errance est la seule à
porter ce parfum –
celui du temps que j’ai et des
matins heureux


Photo : BUSTE – Mars 2021 * Vieux Montréal

Tissu de mémoire

Le temps est redevenu glacial.
La météo prétend que mars sera brutal.
Comme s’il fallait le savoir d’avance, pense Lou.
Elle boit son deuxième café en regardant dehors.
Surtout les oiseaux.
Charles est resté au lit.
Ils ont parlé un peu avant qu’il se rendorme.
– J’ai pas de souvenirs de grand-chose, avait-il dit. Ils se
sont usés on dirait, comme un vieux manteau.
Elle sait qu’il pense à son père, à sa mort imminente.
– Oui, la mémoire a le don de s’effilocher.
Elle l’entend qui se lève.
Elle va vers l’armoire et en sort la tasse qu’il aime.

Photo : SANS BOTTINES – Mars 2021 * Montréal

Dedans la neige haute

si la nuit est aux hommes
le matin est aux âmes

je suis passée par en arrière
sous le ciel tout blanc – un long drap de beauté
sur un monde déjà beau

on s’est fait un chemin
dedans la neige haute

combien de fois de la cuisine
sur les matins de cet hiver
j’ai tourné les yeux vers la cour
pour y toucher le sens

quel que soit le dessein des hommes
la terre, elle
reste soudée aux âmes

Photo : DE NOS MATINS DE NEIGE – Février 2021 * Montréal

On y est nus

D’encore vaquer aux notes jouées pour y danser l’hiver. Et la nuit, au rêve nécessaire. Pendant ce temps, sous la lune qui décroît, le banc retient encore sa neige.

C’est l’enfance qui veille au désir, celui des vieux surtout.

T’avais raison pour la beauté. Pour l’absence de bruit dans le divin frisson des feuilles. Et pour la forêt, où qu’elle soit, qui se repose mieux que nous. De savoir tendre sans attendre.

On y est nus de toute manière.

·


Photo : AVANT-GOÛT DE PRINTEMPS – Dimanche, coin Duluth et St-Laurent, la montagne en arrière-plan * Montréal 2021

La complainte

La pluie sur la fenêtre.
Dans ce même rêve de l’oiseau et
d’un morceau de vent.

Et toujours la maison, suspendue
à ton coeur battant. Comme toutes les rivières
à se vivre. Que dans le chaos tu te soudes,
douce et folle et sans savoir, à la fleur patiente.

C’est ce même inédit, ce long ressac
par où rejoindre l’aube. Et tu y entends
la complainte, plus tendre que la seule raison.


Photo : LA FILLE D’ENVERS – Hier * Montréal 2021

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