Devant les heures

Et l’inlassable. Et le morose.
Le temps d’hier, gris mais quand même.
La lenteur qu’on aime d’un jour.

Le monde est déjà assez triste, va t’asseoir au piano.

Et qui devant le bleu du ciel et de la neige.
Qui devant les heures qui s’enfuient.

Un autre hiver encore, je ne les compte pas.

Photo : LE GESTE – 23 Février 2024 * Montréal  

Les formes blanches

D’entre les choses qu’on observe, il y a le souffle salvateur qui vient désengager les lèvres. Les dents aussi. C’est comme le sable, me dis-tu, soumis aux humeurs du vent. Ça tient d’un abandon. Qu’un peu de sel se dépose entre le penchant et la langue.

Mais pour tout dire, j’hésite encore. Le mouvement se défend, mais la vase me séduit.

Quant aux oiseaux, ça fait longtemps qu’ils savent qu’on éventre la marge. Qu’on s’invente des fables qui souvent saturent les veines.

Nous reste les autres artères et autres formes blanches. Des partitions intimes qui ressemblent à la neige. Ma mère m’aura un peu montré, elle qui savait en enfilade couler des jours sans ennui.

Photo : DESSOUS LE MÊME CIEL – 16 février 2024 * Montréal  

Casser des moules

T’es passé par-dessus le livre. Ou pas. C’est pas grave. Ce ne sont jamais que des perches pour jouer sur l’hiver. Des livres et des lignes, des mots comme des chapeaux pour me rire du temps qu’il fait, inventer le frisson, trouver sur le bout de la langue la preuve que l’espace est un leurre, qu’on vague dans une histoire fabriquée de toutes pièces. De quoi s’amuser à casser au moins un moule par jour.

Et la plante qui s’éclate. J’ai hâte à ce moment où elle sera dehors… l’écureuil freine mon élan en y prenant le sien, et la branche qui oscille comme un fouet sous la voute, et la fille qui marche les yeux sur le trottoir. Ah, le trottoir. Combien d’yeux dessus. Sacré trottoir, va.

Photo : LIGNES – Hier * Montréal 2024  

Piqûre et mystère

Il me reste ce jeu.
Celui du sens au pied du jour.
Ce sans-boussole vers des espaces
volés en douce et en parfaite impunité.
Où on ne veut qu’une chanson et
toute une musique. Ce bonheur de piqûre
qui fait qu’on s’accroche à un fil
et qu’on le suit comme on suivrait
un chien qui vous reste fidèle.
Et puis cette histoire de nom.
D’un livre acheté d’occasion l’avant-veille
du jour d’ici. La vie toujours
plus mystérieuse qu’on ne se l’imagine.

Photo : SOUS LE SOLEIL FUYANT – Montréal * Février 2024  

Désinvoltures

évidemment, tu comprendras
je peux pas me rendre à Paris
même pas le temps d’un seul poème

pour cette raison et toutes les autres
je me tiens près des étourneaux
à l’endroit où les heures se perdent

c’est vrai, j’écris
et je sors pour y prendre l’air
savourer mes désinvoltures malgré
le vent du nord

mais t’as raison, pourquoi mentir
c’est moi qui voulais suivre l’eau

c’est qu’il vient toujours en hiver
un moment où tout est glissant
et les lèvres s’ennuient

Photo : SUR MES CHEMINS D’HIVER – Avant-hier * Montréal  

Faux bond et coquillage

C’était l’été des seize baleines. 
J’avais écrit je t’attendrai, tu peux prendre ton temps.

Fado m’a rappelée à l’ordre, j’avais oublié les rigoles.
L’heure était à nos habitudes, je l’ai suivie sans y penser.

On a couru jusqu’à la mer, la marée avait descendu.
C’est vrai qu’elle a joué longtemps dans les sillons de sable.

Quand elle est revenue vers moi, déjà trop d’heures avaient passé.
Je suis rentrée tranquillement, un coquillage blanc à la main.

Je l’ai encore ce coquillage. 


Photo : Médiums mixtes sur toile – Soleil Fleming – 2024 

Chats et carafes

Je tiens, regarde,
ce qu’il faut par la queue :
des chats du matin, des ombres noires,
des rires à se fondre, et de quoi prendre la beauté
même dans la neige sale.

Je remets le petit, le rien, le tout,
sur le banc d’en arrière, et le pain cuit comme
un oiseau qui se cherche une branche.
Je les remets, tu vois, exactement là où ils vont.

La nuit d’elle-même s’est avancée.
Et je m’entends songer. À nos carafes ébréchées.
Cependant qu’on chante et respire
les grands airs de l’hiver.

Photo :  ET LENTEMENT, L’HIVER – Montréal * 27 Janvier 2024

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