Écume

te rappelles-tu ce qu’on s’est dit sur le bruit
des moteurs, j’ai oublié

et pour le jaune aussi
s’il y en aurait plus au mois d’août –

au fond quelle importance de quoi on s’est parlé,
c’était avant tout la rivière
et d’être là avec vous deux, moi qui connais peu
de bonheurs plus grands que nos beaux
arrimages, pas grand-chose de plus doux que
d’y marcher les ponts entre nos grands 
escarpements –

et puis toutes ces perles d’eau qui
déboulaient de vos épaules comme des
morceaux de soir sur vos
deux corps de magiciennes –

il se peut même que j’aie pensé
par chance qu’il y a le grand fleuve pour
y calmer l’eau d’une rivière avant
qu’elle n’arrive à la mer,
celle d’hier plus agitée que toutes les rivières
que j’ai vues, comme les âmes des derniers
temps, et la tienne et la mienne aussi – 

sur l’écume d’avant la suite

Photo : PRÈS DES EAUX – Samedi, Rivière du Nord

Est-ce d’être

le feu se trouvait là
où tu t’es arrêtée –
devant le trou dans l’escalier

il pleut et tu t’abrites encore
dans les couleurs de février

la déception a la peau dure –
peut-être est-ce d’être à la fois
naïve et insoumise

si dans ce long baiser de cendres
la parole s’est assoupie,
le piège reste le même
d’y serrer les mâchoires

l’été est là
et l’insomnie te berce tendre –
oublie l’inexorable
et saoule-moi
d’éternités et de temps chauds

·


PHOTO : DANS L’ÉTREINTE DES MOTS – Montréal – Juin 2022

Pour la grâce

y a une femme en colère
dans la rue d’à côté

t’allumes la machine à café
et tu fuis, avec ou sans rivière

l’heure a trouvé son os, un vieux de ces jours-là –
de ta peau hématome à force de débouler
l’escalier de ciment

et ta mère qui disait
que chaque maladresse cachait une absence de soi –
le rosier du jardin qu’il faudra mettre ailleurs
on y croyait si peu qu’on l’a planté à l’ombre –
mais qu’est-ce qu’on a pensé?

toi tu courais pour fuir la marmaille
tu volais des ailleurs au fond des garde-robes
des forêts au plus près de la grâce

et là l’eau froide qui te prend
sans retenue
qui t’aime de toute son âme d’eau

c’était ça tout du long

PHOTO : CHEMIN FAISANT – Montréal – Juin 2022

Mouvante

tout le jour
mains et doigts écartés
sur un banc de rivière

mais quand y sauras-tu
ce que tu vois déjà ?

et les poissons dorés
qui glissent dans les remous
bienheureux harnachés
de pierres et de soies

aussi pressés d’aimer
qu’au premier désir

PHOTO : SOUS LE SOLEIL ENSEMBLE – Montréal – Juin 2022

La part qui pénètre

C’est vrai pour le silence, je lui dis.
Et le grognement du monde comme d’un chien assommé.
Vrai pour le spleen aussi –
le temps d’un pied fourbu qui se lève au matin
et la part qui pénètre la chair.
T’as raison pour la vague qui me reste
du bassin de rivière. Et le bleu d’une saison sauvage.
Mais il flotte sur juin la prière de ma ville,
la senteur des roses.

PHOTO : LA PLUIE ET L’ARBRE – Deschambault – Juin 2022

Écharnement

Des livres sur la table, deux qui seront restés fermés et deux que tu auras ouverts au fil de la journée pour sentir le parfum des mots / De cette vie, à souvent chercher quelque chose d’une peau échappée qui t’aurait laissée là sans existence que celle de ta chair intérieure / De ce souvenir d’une nuit, noire d’entre les noires, et de tes forces mises à croire que tout se passerait bien, qu’elle s’en sortirait, que son corps saurait faire / De ces lambeaux de peau que t’as pas vus tomber.

·


PHOTO : UNE HISTOIRE DE JOURS – Montréal – Juin 2022

Le vent qui lisse

il y a de ces lieux
comme Grand-Remous et Cascades-Malignes,
de ces endroits aux noms venus
du corps des âmes vives –
d’un temps d’avant ce vent qui lisse
et aplatit les jours
jusqu’à y rabrouer le chant
des rivières qui s’emportent

respire, me souffle-t-elle
et puis oublie un peu

la pluie y sera belle
tout le long de la route

et quelque part tu y auras vu
le grand fleuve et la rose

PHOTO : LE TRUCK ET LA PLUIE – Sur la 40 – Juin 2022

L’os de la joue

mille vacarmes autour de la rose –
d’y entendre le crime
sans y rien pouvoir que l’eau
les mots

les pieds
les marches devenues sales
à force de servir
et puis l’os de la joue, mais ça c’était avant

après c’est tout l’orgueil
et le rêve du grand remous

PHOTO : ROSE BLANCHE DE GRONDINES – Sur le Chemin du Roy – Juin 2022

Inclination

Un parfum d’envers, ça te dit quelque chose?
C’est là, on sait pas trop pourquoi.
Ça arrive, sans qu’on ait vu venir.
On pensait savoir, mais on savait rien.

j’ai lu ailleurs
loin de toi, loin de nous
des mots indéchiffrables

j’aurais pu essayer
mais ils étaient si beaux sans tête
que j’ai préféré pas

tu comprendras, je sais
combien le loin
peut parfois nous sembler
plus près que le près

et que de toute manière
avec le temps qui passe,
surtout s’il s’agit de rivières
et de quelques belles eaux claires,
on se laisse emporter

PHOTO : DE LA PLUIE SUR MA RUE – Montréal * Juin 2022

Un fleuve à mon âme

un trait de bleu
entre deux coups de blanc

ça tangue encore, tu dis

c’est ce trop de ton coeur ailleurs
là-haut sur le rocher –
et c’est ce baume que tu attends

de mon côté, j’irais voir les fous de Bassan
pour un fleuve à mon âme

même seule
et malgré l’ombre au large

de grands oiseaux
pour y rire de nous

PHOTO : PRÈS D’OÙ TU SAIS – Montréal 2022

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