Je ne sais pas vivre autrement. J’ai beau dessiner sur chaque heure, une part de moi reste inconsolée. Je fuis le jeu, comme on fuit une guerre. Je me gave de lumière, de cerfs, de brume matinale. De ce bleu de la neige quand l’ombre s’en éprend. Le monde est saturé d’inconscience. Et sa grande beauté me chante aussi sa peine.
Photo : POUR LES GESTES PRÉCIS – Petite Nation – Février 2022
Par le vert-de-gris de la neige sur le bassin gelé, je sais que le temps est plus doux. Oxyde de chrome, que D. m’a dit.
Me revoilà dans la tempête à courtiser les muses, cherchant dans l’écorce du pin le creux où mon corps lui ressemble. Je n’y suis pas. Ou à moitié, dis-tu. Mais les oiseaux, et je respire.
Tout ça est sous la peau, je sais. Les zones cuirassées. La nuit qui me rattrape.
Je suis faite de nous par milliers de morceaux. Comme celui où j’avance dans la beauté du jour.
Photo : UNE PENSÉE POUR K – Petite Nation – Février 2022
Presque trois ans qu’on était là ensemble. Dans mon rêve, elle sort de la voiture, s’éloigne, et vacille légèrement avant de s’écrouler. J’ai gémi pour qu’il me réveille.
Sur un plateau grand comme ma main, une feuille de lilas desséchée. C’est cette manie que j’ai gardée d’accrocher le vent aux oreilles des éléphants de verre. On sait bien que la mort viendra. Après c’est une question de tendre.
Ça sert à rien d’appuyer fort, me dirait-elle sans doute. Oublie le cirque. Et tous les clowns endimanchés. Laisse venir. Un peu de sel de nostalgie, un peu de sel de peine. Des morceaux de rose et de gris. Une ligne d’ombre sur la joue. Tout ça fait mouche sur le visage et reste bon pour l’âme. Et puis ça colore le temps. Quant au miracle, il sait quoi faire même sans toi.
Sur un plateau grand comme mon corps, j’ai tendu une part de moi jusqu’à son corps fort et fragile. Et j’ai pensé je t’aime, aussi fou que ce soit.
bien sûr, j’y suis comme sur un fil, dit-elle sans époxy ni parachute j’y suis tant qu’il est que j’y sois muette et fugitive le ciel sait toujours mieux que moi comment faire avec l’aube l’amour se raconte à l’envers aussi fort qu’à l’endroit et les branches se tendent en hiver
Photo : POUR UNE BELLE HISTOIRE – Chez N. – Février 2022
J’ai mis l’hiver en équation dans des plaines de neige, profondes immaculées. Loin des visages amputés qui sapent la beauté des trottoirs.
Sur le ciel encore bleu, la lune presque pleine. Plus on descendait dans l’enclave, moins le vent nous mordait.
Le froid ne sait qu’être fidèle, à lui-même et à nous. Sans compromis ni double jeu. Quand on a marché tout son saoul dans un grand froid d’hiver, il fait bon de rentrer.
Ce matin ressemble à hier. Plus tard j’irai sous le soleil avaler les bords de rivière autant qu’ils se laissent avaler.
Photo : ENCORE CE MÊME VERT – Petite Nation – Février 2022
J’ai refait la même chose. Une fois, deux fois, trois fois. Comme la neige, comme l’arbre. J’ai tout repris à l’intérieur comme on reprendrait une valse, un vol d’oiseau, un chemin blanc. Et la rivière pendant ce temps s’est couverte de neige. Il n’en reste à voir qu’une strophe, quelques vers, une poésie d’eau.
Ailleurs le monde qui s’est fait plat. La même comédie, la même roue qui tourne. Pour une raison ou pour une autre, l’humain qui s’éprend d’une fable et qui s’y enchaîne.
T’avais sans doute rien compris ni rien visé du tout. Et moi dans ma bêtise, j’ai pensé le contraire. C’est à cause d’elle, tu vois, à cause de ma folie, que je donne surtout au jour désencombré. Pour ce sol où la peur ne tiendra pas debout. Et mon corps sur les routes et mon coeur jusqu’aux cendres. Partout où la beauté m’étreint, qu’elle soit blanche comme la neige ou noire comme la mort.