Dilemmes et bobinages

La queue du chat n’a pas bougé, papier mâché oblige.
Mais celle du tigre a coloré l’horizon dans ma tête.

Te souviens-tu des exigences qu’on avait en matière de rouille?

Dans un flou suggestif, rien qui n’embobine les âmes
ni ne cherche à confondre les chiens et les froidures.
Ça reste noir sur blanc, comme du fil de carême.

Une fille est passée en balançant les bras comme deux
longues manivelles. Je l’ai vue se mettre à rouler.

De quoi faut-il pleurer, dis-moi, et quand faut-il en rire?

Photo – LE BEAU DANS LE LÉGER * Hier – Montréal 2024

De quoi se perdre

et le temps qui se tient
et le piano

je sais pas pour la mort
c’est si vivant tout ça
avec toujours de quoi se perdre
le lourd et le léger
les voix et le violon
et de quoi ramasser les cendres

Photo – ET LE TRAIN QUI NE PASSE PAS * Hier – Montréal 2024

Corps de langue

et tous ces trottoirs à me faire
et ces mots qui me prennent

de l’eau pour les feux qui me brûlent

j’oublie, tu vois

et là, le soleil qui descend

moi si infiniment perdue
et bienheureuse de l’être

amoureuse encore d’une langue
qui pour autant que je me donne
m’arrache parfaitement à moi-même

Photo – LE RÊVE DE L’ÉTOURNEAU * Mai 2024 – Montréal

Près du bord

la lumière a viré d’un coup –
un mouvement de nuage

ces bouts d’enfance en vert-de-gris
sous le toit des églises

quand même la même passerelle
pour arriver au lit des roses

je tiens mon visage près du bord
pour mieux sentir la pluie

Photo – DANS LA LIGNE DE L’OXYDE * Mai 2024 – Montréal

Nulle part que la mer

Je l’imagine se pencher sur une fleur
comme on se libère de la colère du monde.
Et marcher comme on marche
quand on a nulle part à aller d’autre que l’amour.

Je n’ai gardé de mon enfance qu’un sentiment surtout. Quelque chose d’une rivière où se laisser porter. On ne contrôle pas la rivière, au mieux on épouse sa course.

Hier, deux étourneaux picorant dans la rue m’ont fait pencher la tête. Encore ce même indéfectible pour les oiseaux noirs. Il y a quelques jours, il était noir aussi le pigeon étendu au milieu du trottoir que j’ai déplacé dans la ruelle pour qu’il puisse reposer en paix. 

Ce matin je remue les mots pour y dépouiller les os plats de ma tête écarlate.

Photo – TOUS LES RUISSEAUX DU MONDE * Hier – Montréal 2024

Primus tempus

Quand tu m’appelles ‘mon p’tit loup’
Avec ta petite voix
Tu panses mes bleus
Tu tues tous mes papillons noirs
(Jean-Pierre Ferland, 1934-2024)

Il peut suffire de presque rien pour voir le vent changer.

En attendant, la pluie tombe de haut. Elle fait des flaques, des petits lacs de larmes. Ou des miroirs sous les érables. L’air est si froid encore que les deux forsythias restent accrochés à leurs fleurs jaunes. Ça nourrit ma patience.

Je marche dans la maison avec mon beau chandail de laine. Et je pense à Christophe qui n’a pas pris de parapluie.

Photo – LA FILLETTE ET LE CHIEN * Avril 2024 – Montréal

Même si la neige

C’était le vent.
Et l’aube qui tombait sur ma tête.
Encore des mots de nuit. Sans bruit.
La cruauté. Le dissocié. L’indifférence.
Qu’est-ce que tu nous fais là, tristesse,
à y entrer de tous les bords, 
dans tous les pores de l’époque,
d’où nous arrives-tu.

Par chance la beauté.
Et le soleil dehors, même sur le carton déchiré.
Les bourgeons tiennent le coup.
Même si la neige est repassée.
On aura un été.
Et la beauté qui vient avec.

Photo – ILS SOURIAIENT TRANQUILLEMENT EN ATTENDANT L’AUTOBUS * Hier – Montréal

La même fenêtre

On a eu de la pluie.
Elle était belle et presque chaude.
Et d’y voir revenir la neige.
Quelques flocons d’adieu.

Et le bras de la chaise.
Le bras qui pend.
Cassé.

Ou tous les hauts fonds contournés
au courant de l’hiver.

Ou ma sublime esquive.
Au bord de la même fenêtre. 

Photo – LE VENT ET LES OISEAUX * Avril 2024 – Montréal

Les belles impatiences

Tandis que l’étourneau retrouve les parterres, le vent vient fouetter le matin.
Entre les fleurs jaunes et la rue, une petite voiture bleue que je n’ai jamais vue. Sur le balcon de S traîne encore une pelle, rouge comme un camion de pompier. Peut-être qu’il n’ose pas la ranger.
Dans toute l’impossibilité qui se découpe, il reste des oiseaux, des arbres et des abîmes. La beauté s’est nourrie sans qu’on ait à y faire. Sur une rive ou sur l’autre, le désir persiste, de paresse et d’urgence.
Si le vent arrivait à faire ce qu’il veut de mon corps, tu verrais quelques os éparpillés dans l’aube – des fragments de manques et d’absences. Et un sang vif et impatient, assez pour que monte une sève.
Le jour où j’ai pensé que j’y traçais le paysage, c’était lui qui me dessinait.

Photo – LA PLUME TURQUOISE * Avril 2024 – Montréal


« Je suis, je me le répétais, je suis du côté de l’œuvre. Je crois que le pourquoi et le comment de l’œuvre, si futiles, inutiles et impuissants soient-ils, sont dans l’œuvre où ils sont entièrement montrés. »  Suzanne Jacob

De l’autre côté du dimanche

par la fenêtre

et le soleil et l’escalier
et deux enfants qui parlent ensemble
en regardant la porte

qui attendent-ils ?

lui frappe dans la petite fenêtre
elle tient le grand chien par la laisse

et je les regarde partir
sans qu’on ait répondu

Photo – DANS LE BRUIT DES BATEAUX * Avril 2024 – Montréal

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