Devant l’invisible

Un silence de trop peut-être.
Une eau qui chante, malgré le vertige.
J’attends que le jour me reprenne.
Dans le balancement de la feuille.

Le parapluie. La marche lente sous l’orage.
Un matin où les gouttes tombent plus fort que les pensées.
Comme une île qui se tait, je n’ai rien dit.
Je n’avais pas, sur le coup, le vent nécessaire.
Le chemin m’a portée ailleurs.

Un sentier. Le long d’une falaise.
Et en bas, là-bas, le fond.
Avec un rêve. À nourrir.
Devant l’invisible.

On en a tous un.
Celui-là était le mien.

Photo : LA PENSÉE – Vient de la même collection de photos trouvées dans une grenier de la Caroline du Nord. Celle-ci aurait été prise à Christiania (maintenant Oslo) en Norvège, quelque part entre 1898 et 1910.

Le chant de Rose (Rose’s Song)

Norvège, autour de l’an 1900.

j’ai misé sur l’art de l’utile et me suis adaptée
ainsi, depuis la terre où j’ai vécu
à travers forêts et montagnes, j’ai su ma liberté
et mes racines ont trouvé leur chemin

et si plus qu’il n’en faut j’ai cherché paraboles
c’est qu’on m’en a servies, à moi comme à tant d’autres
sur fond de couronnes et d’épines
et de gloires sanguinaires

c’est vrai que j’ai un sang teinté par l’art dévot
mais dans mes veines affluent les rivières sauvages
les neiges souveraines et les grands vents du large
et ces parfums musqués qui montent des sous-bois


Photo : INCONNUE / L’IMMIGRANTE – Vient de la même collection de photos trouvées dans une grenier de la Caroline du Nord. Celle-ci a été prise à Christiania (maintenant Oslo) en Norvège. Aucune date n’y est inscrite. Mais le photographe, Gustav Borgen, a vécu de 1865 à 1926.

La beauté des battures

Géorgie, États-Unis, autour de 1905.

j’ai vu des caravanes
entendu la musique au bord de mon réveil
et des notes qui trahissent mon désir

le long des rivages d’argile
je marche pour apaiser mon amour exalté
et mon cœur à l’orée du néant

je suis tellement vivante
à en peindre et vouloir
des ciels qui se déchaînent et des nuits de bohème

vivante à m’y trouver et vivante à m’y perdre

dans ce monde qui déjà
cent ans avant le vôtre
m’accuse d’hystérie et de divagations
je vois un jour où l’homme
n’aura presque plus rien d’une finalité

un jour où de lui-même
en quête d’efficience
il bafouera son corps et ses états variables

les mots et moyens changent
mais les desseins perdurent

puisse-t-il y voir quand même
la beauté des battures


Photo : INCONNUE / ELLE AIMAIT PEINDRE AU BORD DES RIVES – Prise à Madison, dans l’état de Georgie, aux États-Unis, par F. B. Clench. Tirée de la même collection de photos provenant du grenier d’une maison de la Caroline du Nord. Le photographe a vécu de 1836 à 1914, aux États-Unis et au Canada. Il s’est installé à Madison en 1902, où il a vécu jusqu’à sa mort.

Dans l’aube venue

En Norvège, au début du siècle dernier.

le temps d’un respir
ou était-ce un soupir

dans l’aube venue
et le silence du dimanche
la lumière toujours

si tu la voyais ce matin
l’orangé plus clair qu’hier
dans la blancheur des rayons

en attendant je veille encore
goûtant partout la liberté
même à te vouloir heureux


Photo : INCONNUE / LE GOÛT DES JOURS – Tirée de la même collection de photos trouvées dans le grenier d’une vieille maison de la Caroline du Nord. Celle-ci a été prise à Christiania (maintenant Oslo) en Norvège. Aucune date n’y est inscrite. Mais le photographe, Theodor Finne, a vécu de 1874 à 1938.

Le corps sauvage

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Quelque part sur la Terre, il y a plus de cent ans.

le matin gorgé de soleil
m’a ramenée près du ruisseau
j’y avais amassé des feuilles
elles sont reparties dans le vent

je suis restée là sous le ciel
à me gaver de lumière douce

le vent sait vivre, je me suis dit
lui qui danse à s’en mourir
avec le vide
amoureux de l’humeur des jours

et mon printemps qui s’en ira
et mon corps que je sens sauvage

je n’espère que la force d’âme
de me tenir loin de vos cages


Photo : INCONNUE / AU SORTIR DE L’ENFANCE – Vient de la même collection de photos trouvées dans le grenier d’une vieille maison de la Caroline du Nord. Celle-ci ne portant aucune inscription, je suis portée à croire, vu les dates et la provenance des autres photos, qu’elle a été prise en Europe ou aux États-Unis, entre 1860 et 1910.

La musique d’une vie

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En Norvège, avant 1889.

L’histoire a eu lieu sous mes yeux. J’y ai posé mon âme, mon cœur, mon corps. Et j’y ai vu le monde, de près ou de loin. Je l’ai touché aussi, avec bonheur et grâce au mieux, mais aussi peine et désarroi. En espérant seulement toujours que dans les passages doux comme dans les difficiles, la musique me vienne. Que je sache tenir la mesure.


Photo : INCONNUE / LE CORPS GRAVE – Tirée de la même collection de photos trouvées dans le grenier d’une vieille maison de la Caroline du Nord. Celle-ci a été prise à Christiania (maintenant Oslo) en Norvège. Aucune date n’y est inscrite. Mais le photographe, Johan Thorsen, est mort en 1889.

Secrètement, la beauté

Dans l’état de l’Alabama, autour de 1895.

il y avait la beauté
et la liberté dans l’aube

ton silence en bouclier
devant les écueils des hommes
tu chuchotais
à l’oreille du tendre


Photo : INCONNUE / LA SÉGRÉGATION
Vient de la même collection trouvée dans un grenier de la Caroline du Nord.
Celle-ci a été prise à Montgomery, dans l’état de l’Alabama, par J. W. Blyth, au 10 Court Square, entre 1890 et 1899.

L’incandescence

Philadelphie, autour de 1865.

et tu l’imites encore
dans l’espace qui s’incline
le vent, l’intarissable
qui se donne sans retenue
pareil aux frémissements de l’âme

comme là, dans le matin
où tu me dis la liberté
et que les pensées font la suite
du jour et de la nuit
autant de pierres au fond des heures
ou de souffles vers l’infini
alors aux tiennes, tu songes

et si tu t’es contenu jadis
tu te déclines ici en autant d’amours vives
de l’ombre jusqu’à ta flamme nue
parce que, dis-tu, tout commence et finit
et qu’entre les deux on n’a rien
que le temps


Photo : INCONNU / L’ABSOLU
Vient de la même collection trouvée dans un grenier de la Caroline du Nord.
Celle-ci a été prise à Philadelphie, en Pennsylvanie, par L. Horning, au 63 North Eighth Street, entre 1860 et 1869.
Derrière la photo figure à la mine le nom de Robert L. Claypool.

Le jour rendu

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Bedford, Angleterre – Environ 1888

le mirage reconduit
l’espoir
qu’un jour le noir s’effacera
mais où irait tout le reste
le temps passe qui change vite
et rien n’est jamais si tranché
ni si clair

vas-y souffle
souffle ton vent sur la muraille
et quelque part, près du fort
et du tendre, on viendra
puiser à ton ambre
et te rendre le jour


Photo : INCONNUES / ÉTATS D’ÂMES
Toujours de cette même collection de photos trouvées dans un grenier de la Caroline du Nord.
Celle-ci a été prise à Bedford, en Angleterre, entre 1887 et 1890. Par Thomas Percy Graham.

Les mots de l’amie

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Portland, Maine (États-Unis) – Environ 1885

matin de vent et de tristesse, me dis-tu
où ton monde se disloque et ta révolte
gronde, mais matin clair aussi
où tremble sous tes yeux une feuille
tranquille, accrochée à sa branche
sous le ciel de juillet

d’ici je pense à toi et à l’infâme qui
nous met en déroute, même toi, la belle
désarmée qui jure de le rester

les rancoeurs sont pesantes comme des lames
d’acier et le berceau des arbres libre et
mouvant comme nos âmes


Photo : INCONNUE / LE REFUS DE LA GUERRE (Pour A, qui lui ressemble.)
Vient de la même collection de photos trouvées dans un grenier de la Caroline du Nord.
Celle-ci a été prise à Portland, Maine, aux États-Unis, dans les années 1880.
Le photographe était un dénommé Albert McKenney. 

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