Je sentais son regard se lever dans ma direction et retourner à sa feuille pour y écrire quelques mots. Je n’avais qu’une courte fenêtre de temps pour agir, et dès que je le voyais pencher la tête, j’enlevais mes doigts de devant l’objectif sous la table et je mitraillais un coup.
Je me suis plu à nous imaginer dans une même histoire, où l’on s’inspirait l’un de l’autre. L’écrivain qui écrit sur l’inconnue qui lit devant lui contre le mur d’en face, et elle qui guette les occasions de voler son image. Qu’elle rendra floue de toute façon, et qu’elle sait déjà belle, ce qui l’excite.
Entre chaque tentative, elle replonge distraitement dans un petit livre bleu presque noir – s’il a d’assez bons yeux, il en aura distingué le titre, Jean-Bark. Et si ce qu’elle a aimé croire est vrai, il aura sûrement écrit quelque chose sur ses yeux à elle, c’est ce qu’on remarque le plus souvent dans son visage.
Ce qu’il n’aura pas pu écrire, c’est que le long foulard enroulé trois fois autour de son cou a été fait par son amie Anna, qui le lui a offert quand elle lui a dit qu’elle le trouvait beau. Pas plus qu’il n’aura écrit que le cache-col qui s’y emmêle, une dentelle de laine gris-bleu, lui vient d’une autre amie, Anne, qui l’a fait expressément pour elle. Ni non plus que depuis très longtemps, dès que la température se refroidit de quelques degrés, elle en met plus que moins sur sa gorge sinon elle se sent nue. Ni enfin combien porter des choses faites par des femmes qu’elle aime lui inspire le bonheur.
Si ça se trouve, c’était un maître d’école qui notait des copies d’élèves. Mais c’est sans importance pour elle, l’imagination étant une si tendre maîtresse.
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Poésie et photographie
(Montréal, Québec)