Drette là

Le temps est court et se peut-il
que je m’étende, disons
sur un trop de mélancolie
Y a des jours mais
Tu sais
Les vagues et les feuilles
et la bêtise encore
Ne dis rien oui
Je sais
M’en vais drette là
Me faire un long trottoir
dans le souffle tiède d’octobre

Photo : DU HAUT DU VIADUC * Montréal – Octobre 2022

La manière et l’oubli

S’il y a une place au bord de la fenêtre,
j’arrêterai prendre une bière et j’écrirai un peu.

Six heures du soir.
Et l’automne qui fait son chemin.

Le regard d’un homme me dérange.
C’est qu’il y a la manière.

Dehors, les marcheurs accélèrent.
La pluie se fait plus insistante.
L’épaule contre la vitre, je guette l’éclair de génie.

En attendant, la bière est bonne.
Une ale québécoise. À la manière anglaise.

Et l’hiver s’en vient qui me semble impossible.
Le vent qui me mordra les joues, la neige qui blanchit tout.
Comme si la chaleur de l’été effaçait de mon corps
le souvenir du froid. C’est pareil au printemps,
ce mal que j’ai à croire aux lourdeurs de juillet.

D’une saison à l’autre, l’errance qui me tire la manche.
Autant que mes amours.

Photo : ET LA BEAUTÉ DES JOURS * Montréal – Octobre 2022

Constat de saison

De ne jamais rien achever, mais pourquoi lui dit-il.

N’y rien perdre peut-être de la lente musique. Ni des accords plaqués comme des atterrissages sans écran que le ciel.

Cependant qu’à mine d’automne, les feuilles y couvrent le trottoir de cet orangé rouille et rose qui brille encore plus sous la pluie, la fille qui s’ennuie se trouvera surtout seule. Au moins jusqu’à neuf heures, quand la boutique fermera.

Quant au gars à vélo, il fera son chemin. Surtout ne pas glisser sur les feuilles jolies. Déjà assez du sable qui érode la langue.

Photo : D’EN HAUT SENTIR TOMBER LA PLUIE * Montréal – Octobre 2022

Barbouillages

Mon voisin Claude m’a raconté
comment Guy est mort seul, qu’une
autre voisine l’a trouvé.

Et ce matin, la brume claire.
Les orangés qui dégringolent vers
l’asphalte mouillé.

Être autrement que celle qui part.
Le monde barbouillé. La beauté, la bêtise.
Et l’automne à se faire un coeur
avant le grand hiver.

L’automne en chemin solitaire
Vers l’oubli ou la mort s’enferme
Une lumière qui décline
Quelques éclats encore dans les feuilles au sol
dans un dernier souffle
Elles gardent en coquille une eau qui dort.

amirliton

·


Photo : CES JOURS DE TIÉDEUR SUBLIME * Montréal – Octobre 2022

Même loin

tu dis je suis juste à côté
et non pourtant

c’est un pari
mais moi non plus

le temps l’emporte

l’amour guetté depuis nos âmes
nos îles souvent
et nos inaudibles marées

la lumière si belle quand même
et juste là, près de l’érable
le nid tombé au creux des feuilles

un homme qui marche en arbre las
yeux au trottoir et cigarette

j’ai de quoi te parler de nous
même loin des rivières

Photo : VACILLEMENT * Montréal – Octobre 2022

D’où je viens

J’ai ce mal à partir, qu’elle lui dit, et
ce mal à rester. C’est le fleuve et le vent
qui y jouent de nos âmes – mon père le savait
sans savoir me le dire.

Tandis que je repasse la ligne d’un
poème, les feuilles qui s’abandonnent
aux pluies froides d’octobre.

Le coeur se porte tendre. Et là d’où je
viens, les battures ont gelé.

Photo : ENTRE NOUS * Montréal – Octobre 2022

Sinon que

Si le beau naît de ce que rien
n’est tout à fait pareil, son
contraire pousse à l’uniforme. 

En attendant, l’enseigne lumineuse
est brisée. Et puis l’harmonica joué de cette
manière. Comme un désert américain, qu’il
m’a lancé, jusqu’au fond de ma tête.

Et la musique a continué, je n’ai rien vu
d’autre passer. Sinon que dans nos
corps, les fleurs de l’âge.

Photo : TEMPS ET MONDE * Montréal – Septembre 2022

Fluides

après le pied
le genou
qui sait le corps à court d’éther
n’empêche j’avale le monde
et ses trottoirs montants
dans les tourments dorés de l’air
puiser aux bâillements d’octobre
et au vent
qui ramène l’hiver

Photo : À BORD D’ÉPAULES * Montréal – Octobre 2022

Une certaine tendresse

Je m’en suis conté des histoires, si tu savais combien d’histoires, pour faire briller les jours trop fades. Tous ces amours imaginés, comme autant de neiges éternelles qui n’en étaient pas. Maintenant la lumière se jette sur les briques d’en face. J’entends des bruits de scie aussi, typiques de ces journées d’automne avant que l’air devienne trop froid pour l’ouvrage sur les maisons. Et ce petit arbre en avant, qu’ils viennent tout juste de planter. Avec ses feuilles rose fuchsia, ou les lèvres de caoutchouc de ta vieille poupée. À propos de délier la langue avant que le corps l’avale. Tu as rué dès la naissance et maman haussait les épaules avec une certaine tendresse – elle qui n’aurait pas eu d’enfants, j’en mettrais ma main au feu.

Photo : CE MATIN * Montréal – Octobre 2022

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