hier
j’ai fait queq’z’heures avec gaby
sur un gros bateau
sur l’eau, le fleuve, le beau fleuve
et plein d’autres beaux vieux
amochés
une sortie organisée
des vieux qui relativisent
beaux j’vous dis
pis j’suis revenue par st-laurent
j’l’ai montée comme on monte un fleuve
pour toute la beauté du monde
on aurait dit quarante à l’ombre
mais j’aime la chaleur
la grande
ç’aurait pu être une photo d’eux
tous autant qu’ils étaient
eux, les vieux
mais j’trip sur cet autoportrait
dans la vitrine d’une galerie d’art
j’ai marché lentement depuis l’port
c’était bon, j’étais bien
toute la journée depuis l’matin
Mois :juillet 2015
T’as bien fait de venir
je passe mai dehors, les pieds dans le jardin
c’est à peine si j’en sors jusqu’à la mi-juin
en juillet je l’arrose quand il a besoin d’eau
si jamais tu venais…
y a ta joie et tes rires
et ta peine et tes larmes
comme un vent au matin sur la mer
et l’amour qui s’invente au tournant des rivières
ta joie et tes rires
et ta peine et tes larmes
comme une ligne de soleil sur un champ
et des feux de silence sur un grand ciel d’aurore
t’as bien fait de venir
et quand tu reviendras
je serai là encore
Tellement (la pleureuse)
… tellement la rivière a gelé
tellement sa rive s’est érodée
comme ce souvenir de toi
qui s’en va un peu malgré moi
j’oublie la forme de tes doigts
le son reposant de ta voix
tes grands yeux accrochés à moi
tellement que je n’voyais que toi…
Si cette chanson me tient à coeur, c’est beaucoup parce que j’y sens et j’y entends mes racines québécoises. Elle n’a mis que quelques heures à venir au monde, et c’était il y a quelques années déjà. En la composant, j’ai eu l’impression qu’elle existait depuis longtemps, quelque part dans l’univers.
Je vous l’offre aujourd’hui, aussi inachevée soit-elle, en la dédiant à mon père, qui est parti beaucoup trop jeune, un 24 juillet, il y a de cela vingt-cinq ans… Pour toi, papa.
UNE TOMATE POUR DÉJEUNER
Il s’éveilla reposé. La chambre était plongée dans le noir, sauf pour un filet de lumière qui traversait le plancher depuis la fente du rideau.
Il sauta dans la douche et finit avec un bon coup d’eau froide, content de pouvoir jouir d’un jet fort et vivifiant. Il s’habilla vite et fonça dehors. L’air chaud sur sa peau et la hauteur du soleil lui firent comprendre que le matin était déjà avancé. Ne voyant personne autour, il fit quelques pas sur l’allée d’ardoise, cueillit le premier gros fruit rouge qui s’offrait à lui, et le mangea avec bonheur en laissant son regard errer au hasard.
Le lieu était plus charmant qu’il ne l’avait cru la veille. Dans la lumière du jour, les murs de la chapelle délabrée prenaient une allure poétique. Deux arbres énormes se penchaient sur la moitié de la cour, comme pour la protéger. Quant au potager, savamment clairsemé de fleurs sauvages et d’herbes hautes, il semblait parfaitement exposé. On sentait partout la présence d’une main aimante.
Il arriva tranquillement au bout du bâtiment, où le terrain montait en pente. Une barrière était entrouverte, comme une invitation. Il la franchit et grimpa sans réfléchir. Enlacées dans un hamac tendu entre deux arbres, il reconnut la serveuse et la fillette du bistro. Les deux semblaient dormir paisiblement. Il sentit sa poitrine se serrer et, retenant son souffle, il recula d’un pas et s’enfuit comme un voleur.
Il retourna à sa chambre et s’étendit sur le lit. Au bout d’un moment, il alluma son cellulaire et vit qu’on lui avait laissé plusieurs messages. Il allait les prendre, mais se ravisa. Il attendrait quelques heures encore avant de réintégrer sa vie.
Juillet sur un dimanche
il a plu cette nuit
de longs longs filets
qui tombaient en musique
entre les grondements de l’orage
ainsi par deux éveils
au coeur de la noirceur
j’ai pu tendre l’oreille
comme aux vagues de la mer
et au grand coulant des rivières
et là, ce matin
un filet de soleil frappe la maison d’en face
et dessine de l’espoir sur le trottoir mouillé
le ciel se dégage on dirait
j’ai moins l’cœur à vouloir que je l’ai à donner
le temps m’ayant fait voir que j’ai raison d’aimer
L’annonce de l’orage
mon amour pour la terre
la mer et les rivières
comme mon amour du vent
me prêtent mille fois raison
près de la fenêtre
la brise me parle de l’orage
et du bel arbre aussi
ses longues branches qui retombent
et ses feuilles qui se replient
tout doucement et simplement
tandis qu’il vit tout ce qu’il est
dessous le ciel qui change
j’ai moins l’cœur à cueillir que je l’ai à semer
le temps m’ayant donné tant de belles choses à voir
La rondeur du temps
comme un grand cercle dans l’instant
un endroit où me vivre
sans rien perdre de l’écho des heures
vain de vouloir m’accrocher
et vain de les vouloir parfaits
aussi bien les faire fuir
les mots les gens les jours
j’ai moins l’cœur à changer que je l’ai à me vivre
le temps m’étant précieux comme l’eau des rivières
UNE CHAMBRE POUR LA NUIT
La nuit tombait. En marchant vers sa voiture, il tira son cellulaire de sa poche et l’éteignit sans même y jeter un œil. Un coup de nausée l’obligea à s’appuyer contre la portière avant de l’ouvrir. Il allait remonter sur l’autoroute quand il comprit qu’il lui fallait filer une vraie nuit de sommeil. Il resta sur la route secondaire et s’arrêta au premier motel. Sous le néon clignotant, un écriteau en bois présentait une inscription manuelle garnie de fioritures mais élégante quand même. Les mille et une nuits. Il attrapa son sac de voyage et se dirigea vers l’accueil.
La pièce était minuscule et une forte odeur de renfermé imprégnait l’air. Un homme d’une trentaine d’années sortit sans se presser de derrière un rideau et lui tendit une fiche et un crayon en silence. Il la compléta rapidement et présenta sa carte de crédit. L’homme la saisit et lui fit signe de le suivre.
En longeant la cour, il distingua une ancienne chapelle à moitié démolie attenante au bâtiment principal. Plus loin, sous les rayons d’un petit lampadaire, il eut le temps d’apercevoir un potager qui regorgeait de grosses tomates prêtes à être cueillies. L’odeur suave qui lui monta au nez le réconcilia avec l’aspect un peu sinistre de l’endroit. Si vous avez envie d’une tomate, faut pas vous gêner, il y en a pour les fins et les fous, lui dit l’homme tout en lui indiquant la porte à ouvrir. Et sans attendre de réponse, l’homme rebroussa chemin. Frappé par le calme et la lenteur de sa démarche, il se dit alors que ce qu’il avait pris pour de l’ennui ou de l’aigreur n’était peut-être finalement que le reflet d’une vie vécue sans se soucier des codes d’usage. Quand l’homme eut tourné le coin, il ouvrit la porte. Une lampe était déjà allumée à côté du lit. Il fut rassuré par le propret de la chambre. Il déposa son sac, se déshabilla complètement et se glissa dans les couvertures. Il étira le bras pour éteindre la lampe. Il se sentait étrangement en paix, plus qu’il ne l’avait été depuis très longtemps.
Le goût des choses
All good things are wild and free.
(H. D. Thoreau)
l’envol
et les petites ombres échappées en chemin
après le mauvais pied
un château qu’on rapièce
à coup de ritournelles
et de bois de mésange
et toi qui ris encore
de moi qui perds le nord
ah la belle histoire
la liberté goûte bon petit poucet
la tendresse et le temps aussi
L’ESPACE D’UN DÉSIR
Elle venait d’enfiler son tablier et se déplaçait lentement derrière le comptoir.
Du fond de la salle, il la suivit des yeux tandis qu’elle alla vers ses premiers clients, adressant à chacun un sourire plaqué. Il prit son verre et alla s’asseoir au bar. Elle tourna vers lui un regard indifférent, et le même sourire. Il avait espéré autre chose.
Une fillette poussa la porte et fit son chemin jusque derrière le comptoir. Il la regarda mettre ses petits bras autour des cuisses de la femme et coller une joue contre son ventre. La femme posa une main tendre sur la nuque de l’enfant et se pencha pour lui glisser quelques mots à l’oreille. La petite leva la tête, forma un « je t’aime » avec ses lèvres, desserra son étreinte, et partit.
La femme se tourna vers la grande fenêtre et regarda l’enfant s’éloigner. Puis elle se mit à dépoussiérer la tablette sur laquelle s’enlignaient les alcools. Pour chaque bouteille qu’elle soulevait, elle passait un petit coup de linge. Elle continua ainsi pendant de longues minutes, sans se retourner.
Quand l’envie de la prendre dans ses bras lui devint insupportable, l’homme cala son verre, mit de l’argent sur le comptoir, et quitta le bistro.