Le temps composé

J’aime la matière qui vieillit.
Qui brise et s’écaille.
Le vieux ciment,
le vieux bois qui s’effrite,
la peinture qui pèle.

De la même manière,
j’aime rarement le neuf.
Encore moins quand ce neuf
sent les matières plastiques
frais sorties de l’usine.

J’aime le travail du temps.
Sur les matières nobles.

Photo : BELLE CONJUGAISON – Ruelle de mon quartier – Juin 2021 * Montréal

Le souffle tiède

lentement
pour y dire à l’envers
que le noir soit clair
j’avance les yeux ouverts
au même pas
devant la nuit qui tombe

le glissement commencé du jour dans l’autre sens
son velours plus rêche
lui qui porte déjà le revers des nuits chaudes

j’ai souvent été là
sans envie de grand-chose sinon le poids du corps
comme quand ma rivière tangue
et que je fuis d’avance ce qui presse mon sang

le vent est silencieux
et ma peau qui retient ce même souffle tiède
qui n’attend rien de moi

·


Photo : ET L’EXQUISE SAISON * Hier – Montréal

La longue veille

Pour Andrée et ses filles, en écoutant du Chet

t’as suspendu le temps
au berçant de la cime

et la vie et la mort
comme toujours et encore
qui restent impénétrables

il est là, l’éternel immuable

Photo : AMOUR DE BITUME – Juin 2021 * Montréal

À pied d’âme

et cette idée de rive
qu’on briguerait à l’avance
quand l’aube
dessine un chemin

à pied d’âme et de doigts
sur des coteaux fertiles
j’erre pour un battement de mots
et les serments qu’ils ne font pas

·


Photo : VELOURS DU TEMPS * Hier – Montréal

Dire le feu

d’y voir céder la foudre
pour y libérer l’os
et la main qui s’avance
depuis le plein milieu
pour y dire le feu
l’esprit et le coeur divisés

Photo : LIBRE D’ERRANCE (autoportrait) – Hier * Montréal

Le rugueux et le tendre

D’abord cette main. Où s’est écrit le temps dans la forme des jours, le soleil des matins et le pesant du monde. C’est encore pour y voir, et de tous les côtés, la perle, qu’on tourne entre ses doigts. Le rugueux et le tendre, pour une vie à défendre.

Et ce dos, qui embrasse mes pas. Sur les trottoirs brisés et les sentiers de neige.

Et mes yeux, qui voient là les oiseaux. Chaque matin, par la grande fenêtre.

Photo : L’OISEAU, LA VIGNE ET LE LILAS * Hier – Montréal

Pas plus que la rosée

de la tâche impossible
d’y être comme le vent dans
les feuilles

du désir infini
de t’aimer comme la rivière
le seuil

du grand cassé de nous
à ne pas réparer
pas plus que la rosée

et de mes doutes
infiniment grands
qui n’ont de fin de moi

l’amour est un mystère
et j’y reste à errer

·


Photo : RACINES * Hier – Montréal

À la p’tite heure

et l’aube qui revient
dans un ciel sans regret

la lumière comme de l’eau
sur l’escalier de vignes

les oiseaux au soleil
dessus le toit de tôle

à la p’tite heure qu’il est
ce qu’encore j’aurai vu

que je n’sais rien de rien
ni de l’amour non plus

Photo : HERBAGES * Hier – Montréal

Le mutisme d’un temps

tu n’avais jamais vu d’écueil
à ce que je m’empare du matin
des fleurs qui roussissent
et des pluies qui avalent
et là d’y sentir sans le dire
un fanage du monde
d’y toucher les parois
plus opaques des jours
comment parler du beau
sans y parler du lourd

·


Photo : BELLE D’HIER * Montréal

Crépuscule

levée pour de l’eau dans la chaleur humide
j’ai attrapé à la fenêtre le suave des roses

ces nuits que d’autres trouvent lourdes
déjà enfant je m’arrangeais bien avec –
l’intensité peut-être, ce poids du corps
qui me sort de ma tête

quatre heures vingt-cinq
un nuage rose dans la clarté montante

il y a deux jours, je t’ai fait une tresse
que tu as trouvée belle

quelque part un oiseau

Photo : DE NOS ENTRELACEMENTS – Juin 2021 * Montréal

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