Le tas de feuilles mouillées d’hier a séché dans la nuit. Et le vent les emporte. Dans l’or des grands érables, d’autres s’accrochent encore.
Mais le crime est ailleurs.
J’erre au pied du matin. Au pied du jour qui commence. De l’automne qui le baigne. À moitié sur le temps, je navigue le bleu pour ne pas y tailler de rogne. Je guette la lumière ambulante, la charpente des âmes, le bruit profond des choses. Plus avant que le bête, l’imbécile moment. Que les rimes de l’époque et le chant indolent.
Je sers le chien de mon désir à l’écart des scories, des croyances affables, des déteintes humaines.
Et mes yeux qui se tendent seuls vers la cime des arbres là-haut. En évitant le trou béant.
Ça tenait du doré, de la lumière sur le vieux bâtiment. Et je l’ai vu, en même temps que le chien qui regardait l’enfant. C’était facile et bon. Ç’aurait pu être ça jusqu’à la fin des temps. Et ces deux femmes aussi, ensemble sur un banc. Elles sont restées longtemps, sans vraiment se parler. Peut-être une fille et sa mère. La vieille avait l’air d’exister dans la minceur de l’instant, partout et nulle part à la fois. Je connais ce regard. Et la jeune était tendre.
Quatre jours ont passé. Et là, c’est l’épaisseur de l’air et cette odeur de pain qui m’arrive du coin. Et mes yeux sur le ciel, ce rond argenté de soleil qui chauffe la couche de nuages. Ils avaient dit qu’il y aurait de la pluie, mais ils se sont trompés. Et le jardin, qui semble plus profond. Et les feuilles étendues sur la terrasse usée. Un autre jour d’automne qui suffit à me vivre.
Photo : NOS TENDRESSES * Parc Lahaie – Octobre 2021 – Montréal
Et puis y a tous ces gens. Et tous ces tours de pistes.
Et ces croyances infâmes. Comme des montagnes qu’on aurait plantées là.
Mais quand même. Pendant qu’on tend les mains.
Je vaque aux mots en oscillant. Entre la musique qui me prend et les deux grands érables de l’autre côté de la rue. Je les vois mieux, ces arbres. Depuis la perte de l’autre.
Et je l’écoute, la magnifique. Chanter ces nuits où elle s’est trouvée seule. Seule avec son désir de fuir sans regarder derrière.
Et devant moi, l’automne. L’automne et sa lumière. Avec les feuilles là-haut, à la place des autres. C’est elles que je verrai y prendre les vents froids et le poids de la neige.
Chante, Martha, chante. Chante nos coeurs qui aiment. Et qui ne demandent que ça.
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Photo : PARCE QU’ENTRE AUTRES L’AUTOMNE * Octobre 2021 – Montréal
Le même appel, le même reflet qui se dérobe. Des notes de piano qu’on laisse se jouer seules. Des doigts qui dansent sans chercher à savoir. Et l’âme qui nous trouve et se raconte un peu. Plonger à fond, loin dans l’abîme. Où les vagues se suivent et emportent l’instant. Sans autre douleur que le ciel et ce qu’on n’y voit pas.
Je sais que tu es là même quand je suis seule. Que c’est là que se jouent les jours qui me précèdent et ceux qui viennent après. Qu’on est plus grands que nos histoires, plus grands que nos bêtises, que nos coeurs qui s’enferment. Et que tout ça, c’est la même mer qui tangue.