Les bons lits

J’écartai le rideau sur un matin de brume.
   Pas très loin de la rive, contre le pied d’un saule, une longue barque blanche. En petit sur sa coque, quelque chose de peint en bleu. Un nom peut-être. Mais c’était trop loin pour savoir.
   Nous étions arrivés la veille, dans une nuit sans lune. Notre première fois là-bas. Même avec la lumière de nos téléphones, il nous fallut aller doucement jusqu’à la grande galerie de bois. La clé se trouvait là où on nous l’avait dit, sous un seau de métal à moitié rempli de grenaille.
   Chacun y trouva un bon lit. Dans le salon, les lampes restèrent allumées.

Photo : LA FEMME ET L’ENFANT – Ce matin * Montréal

Nos coeurs emboîtés

On est entrés dans la maison. Elle était sombre, c’est à peine si on y voyait. On a tout de suite cherché les lampes. On en a trouvé quatre, deux toutes petites en verre qui ne s’allumèrent pas, et deux anciennes, aux très grands abat-jours, qui jetèrent un peu de lumière dans l’immense salon.
   Il ne restait plus qu’à s’aimer. Pendant ce temps dehors, le monde serait le monde. La vie s’accrocherait à elle-même et l’automne poursuivrait sa route. On resterait des visiteurs, dans cette maison-là comme ailleurs. Les matins seraient ce qu’ils sont. Pour la suite des choses.

Les feuilles tomberont. Le ciel se couvrira et se découvrira.
Les jours s’emboîteront. Et nos coeurs avec eux.

Photo : POUR TOUS LES JOURS DEVANT – Hier * Montréal

Les choses

mais c’est quoi cette fièvre

des petits clous
pour faire des trous
dans la couleur d’un ciel de cendre

ça reste pris entre les fleurs
et dans les lèvres de la nuit

les choses changent

Photo : AU PASSAGE DU MONDE – Septembre 2024 * Montréal

Fascinatio

… ça se tait dans les glaises chauves
n’ajoute rien, ni sel, ni sable, ni vinaigre.
Suzanne Jacob

Je me levais dans le noir. La fenêtre était noire.
Le monde s’était séparé du visible.
Pascal Quignard

Au jeu de la fascination, les arbres sont toujours preneurs.
C’est pareil pour la chair, même si la forme est sombre.

J’ai lancé une ligne pour m’accrocher le doute, entr’ouvrir les yeux de la bête.
Et j’ai frappé à la première enseigne. 

Je sais bien que quoi qu’il arrive, rien n’avalera le ciel.

Photo :  LA DOUCEUR DE SEPTEMBRE – Avant-hier * Ruelle de Montréal

Vent d’oubli

L’écorce du vieux lilas frise dans sa tendresse. La cour est belle. Et les fleurs d’orpin qui rosissent. D’un rose que tu aimes.
   Je suis descendue vers le sud pour me rapprocher du café. Sans même savoir si j’irais. Je voulais ce vent tiède qui me fait oublier les choses.
   Difficile de voir le bout de ce coeur de silence. Dans cette histoire, c’est la seule saison que je trouve. Pour un écho du temps d’avant. Ou quelque chose qui lui ressemble.

Photo : L’ABANDON SALUTAIRE – Montréal * Septembre 2024

Les feuilles virent

Ô ma petite indignation, où veux-tu m’emmener?
De nos enfances arcboutées, je dirai qu’on n’y pouvait rien.
Et que c’était alors.

Les feuilles virent déjà dans l’érable d’en face.
Les ombres bougent. Et toute la lumière avec elles.
Sans que j’y cherche ni aveu ni raison.

Photo : TENDRE SEPTEMBRE – Avant-hier * Montréal 2024

Le repli

Même avec autant d’angles morts,
de narcisses en cavale,
je vois dans ma ville en septembre
de plus en plus de roses

Sinon, je n’en sais rien
Comme là, de ce soleil éblouissant
et du ciel à n’en plus finir

mais du vent de ce soir de juin
et des motifs du repli

Photo : LA VIE SE CONTINUE  – Septembre 2024 * Montréal 

Médée de septembre

Barbare humanité, qui m’arrache à moi-même,
Et feint de la douceur pour m’ôter ce que j’aime !
La Médée de Corneille 

Une fille aux longs cheveux noirs
passe à vélo devant chez moi, son visage au soleil.
D’un coup je revois les foulées d’un certain automne lointain.
Je repense à Médée et au plaisir que j’avais eu
à jouer le drame absolu, l’intensité de la vengeance.
La lumière de ces jours-là. Et la douceur d’un certain vent.
Le lourd et léger à la fois.
La liberté ne s’invente pas. Et l’errance non plus.
Pendant ce temps, la lumière change.
L’hiver reviendra.

Photo : FILLE ET RUELLE  – Hier * Montréal 

Sufficere

Le bout, le dos, et l’endroit qui t’appelle.
Tu y prendrais sa main de la même manière. Les bras ouverts.

C’est ton corps. Le poignet dans les airs et l’appel des mots.
C’est toi, c’est tout, qui aimais ce cheval.
Et qui, le jour venu, lui a tourné le dos.

Tout bouge tellement.
Le sourire de Laura devant le tas de pommes.
Et le sept fois « maman » dans la bouche de Nico.

On voudrait que ce soit assez.
Mais c’est peine perdue.

Photo : ROBE ROSE – Septembre 2024 * Montréal

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