Ripariae

Voilà qu’on se revoit, dit Jeanne. Même trottoir et même ville, malgré toutes les rivières.

La conversation tourne vite aux oisillons d’hier. Elle me dit qu’ils vivront sans doute.

Je l’ai regardée se pencher et empoigner ses sacs. Elle était belle, tout habillée de blanc. Le chauffeur aussi était beau, tout sourire sur son banc.

Et tu prétends qu’on s’habitue à la bêtise et au cynisme. On dirait que pas moi.

La neige est partie pour un bout. Et je ne dilapiderai rien de ma richesse ni de ma gloire.

Photo : NOS TENDRES RIVES – Mai 2025 * Montréal

Morsus

J’écris faute de peindre.
L’image de la chaussée. Les morceaux de saisons.
L’américanité qui compare les chairs.

La forme et sa correspondance.
Le temps qui mord en laissant tout derrière.

J’imagine mieux que je ne vis.
C’est une question de son, de révolution sur la page.
Une musique de chambre noire, de corps et de baisers.

Et encore la matière. Un arbre dans le sable.
Pour les siècles des siècles.

Et cette chose qui me dérange –
c’est moi ou le monde ?

Photo : LES CORPS TISSÉS – Mai 2025 * Montréal

Manières de beauté

Depuis le début des bourgeons, quand le ciel est clair le matin,
je pense au Japon. Ce n’est pas l’envie d’y aller,
c’est la manière des couleurs, celles des verts sur le bleu.

Je viens de relire un courriel envoyé à une amie chère
un beau jour d’hiver passé seule à errer près du fleuve
dans les vieilles rues de Québec.

Je t’imagine au lit, au chaud du corps et des brioches.
M s’en vient, il m’a écrit. Il sera ici dans une heure,
ou deux peut-être, dépendant des vents dans le parc.
Le temps est froid à mort. C’est la troisième fois aujourd’hui
que je m’arrête dans ce café que je connais depuis trente ans.
Je t’écris en me réchauffant avec une bonne soupe à la courge
et en feuilletant mes trouvailles du jour.

Je joins deux pages d’un beau livre.
Un poème, je crois, que tu aimeras autant que moi. 

Photo : POURQUOI TU PLEURES, EMMANUELLE ? – Mai 2025 * Montréal

Candor

Tu parles d’un fossé, d’un lieu mystique et noir.
Comme quoi les grands arbres font de l’ombre partout.
Il faut pas s’étonner des mares pleines d’algues,
des tristesses, des bonheurs et des peines
qui s’y mêlent.
Les semaines s’écoulent depuis la ressemblance
et t’y trouves encore d’autres images.

Cette candeur qui t’a eue plus d’une fois sur la route.
Fascinant comme les champs nous cachent les bestioles.
Tant les bêtes à sang chaud que les bêtes à sang froid.

Tu veux dire. Mais tu veux qu’on t’oublie, ton existence aussi.
Te glisser près des pierres sans déchirer ta peau.

Elle est mince. Et jalouse, ta peau.
Mais d’elle-même, pas des autres. *


* Those words were a long time coming

Photo : SIMPLE BEAUTY  * Mi-mai – Montréal 2025

Fabulae

   – Avoue, dit Laure, c’est presque rien. C’est juste le passé qui déteint et tout cet oubli à mesure.
   – C’est vrai, dit Maude. Les chansons, les raisons, les amours inventés. Et toutes les affabulations comme celles où tu te glisses dans les jupes de ta mère. Qui ne met que des pantalons.
   – Toi non plus, lance Laure, tu n’es pas celle que tu penses.
   – Je sais, enchaîne Maude. C’est à peine si je me souviens de me cacher sous le balcon et d’écrire dans la ruelle sur le béton armé.

Et sur ce, je pars marcher. Essayer de toucher le temps d’un peu plus près encore. Avant de tomber sec. Comme une vieille branche dans un vieux pommier renfrogné.

Ah, je vous l’ai pas dit. On gèle encore ici.

Photo : LE PHOTOGRAPHE PHOTOGRAPHIÉ * Hier – Montréal

Giron

je m’habille plus facilement
de noir
et plus les années passent
plus on me reproche
mon silence – j’ai glissé où
s’est brisée
la terre
et perdu la manière
de discourir longtemps –
l’aigle a beau se poser
sur ma main
j’ai le pied
hésitant
sur le chemin des
autres –
la lourdeur de mes hanches
peut-être

Photo : L’OR DU SOIR * Mi-mai – Montréal 2025

Insinuare

C’était l’histoire.
Ou quelque chose d’une colline et d’un grand fil noir à glisser
entre les pâleurs et les blancs.

Des arbres aussi.
Que le corps se faufile avant que la nuit ne l’endorme.

On n’a presque rien vu.
À peine le fleuve et les rivières.
À peine l’eau, qui pénètre le fruit.

Tout ce temps à attendre que la beauté
suffise au monde.

Photo : LE PARAPLUIE TORDU * Hier – Montréal

Scrutari

Une fois près de l’eau,
je n’ai plus voulu que m’assoir
et la voir couler.

On est restés là immobiles
pendant un long moment. 

Regarde, tu m’as dit,
la finesse de tes chevilles.

Des bouts d’arbre flottaient.
Puis la lumière a changé.

Il s’est mis à mouiller à siaux.

On a remonté la colline
et lentement repris la route.

Tu es si souvent sans merci.

Peut-être.

Photo : MERULUS * Avant-hier – Montréal

Imaginarius

Le ciel se couvre. Le fond de l’air est chaud et ça continue de monter. Laure rumine.
     – T’en fais pas pour ces morts, dit Maude. Y a rien d’autre à y voir que les aléas du printemps, les appétits et les reflets. Et puis le jour, qu’est-ce que ça veut dire le jour, tous les jours sont les mêmes, non ?
   La moue de Laure. Ça commence à frôler l’angoisse. Maude poursuit.
     – Tout va vite, c’est vrai, et la pensée déforme. Le temps nous manque qui s’en va. 

Le vert des arbres change déjà.
     Si j’ai passé ma vie à fuir, c’était plus fort que moi. On ne sait rien, on imagine. Et le printemps fait ce qu’il fait.

Photo : PROFIL D’ALISE * Mai 2025 – Montréal

Fugire

Ça y est, la cour est arrivée. Je peux enfin m’assoir dehors sans frissonner. Plus près des scies et des marteaux, mais l’air et le soleil compensent.

Je vais au cinéma ce soir. En attendant, je pense à nous encore, tout ce qu’on aime à nous voir croire. La peur est incisive qui grouille et mord à l’intérieur. Du bonbon pour les gros joueurs.

Amour de fuite. Pour échapper au piège de l’enterré d’avance.

Photo : D’UNE RUELLE * Avant-hier – Montréal

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