Sept heures du matin. Je l’ai aperçue de très loin, de très haut dans la ville. C’était la belle histoire. Tout dire et ne rien dire en passant par l’aurore remplie d’autant de neige. Le ciel et sa peau blanche, mouillée d’autant de jours, la même histoire d’amour. Et soudain dans ma tête des mots surgissent de nulle part. Good Morning America, dit la voix. Le titre d’un talk-show aux USA. Un titre qui à force de temps a pris des airs de locution. Mon cerveau est une drôle de bête. Mais je dirai à sa défense qu’en sortant du lit ce matin je pensais à San Francisco. Aux quelques jours que j’ai passés dans cette ville en pentes, avec ses maisons pâles, ses cafés à se vivre. Du temps où le mot liberté avait tout le poids de l’amour, et quand s’en réclamer ne sous-entendait pas qu’on veuille arracher celle de l’autre. Il m’arrive de m’en vouloir. De ne pas, de ne plus, dire le fond de ma pensée. De me cacher derrière les mots. De me taire de plus en plus fort. Et tout ça pour être tranquille, loin de la polémique. Tout ça pour apaiser mes heures. J’écoute Gould. Je ferme les yeux et je suis dans son corps, et dans ses mains. Et je suis bien. Un peu triste, mais bien.
Le ciel est bleu. La neige borde les trottoirs. On est samedi matin. Dans le petit pommier qu’on a mis au bord de la rue il y a quelques années, ce qu’il reste de feuilles fait flamme sous le soleil.
Je suis faite de tant d’absences, me dit Maude, de tant de tout et d’absences. Hier, c’était moi. Et quelque part depuis, à travers les heures, des morceaux ont cédé.
Les mots me tranquillisent. C’est pour ça que je vais vers eux. Je les fréquente autant que je fuis la bêtise. Ils m’aident à desserrer le noeud, me laissent libre du miracle où je suis condamnée vivante. Condamnée à respirer l’air, et toutes les particules.
Photo : LA GRANDE BEAUTÉ * Le 14 novembre – Montréal 2025
Plus je laisse passer de jours, plus le monstre s’agite, dit Laure. Et toi qui te réfugies là sans penser à la suite. Là dans les tas de feuilles mouillées, les flaques, le bruit des flaques, la blancheur du ciel, tes yeux, mes yeux. Et nos folles histoires à n’en jamais mourir.
Photo : MONTRE POUR VOIR * Le 11 Novembre 2025 – Montréal
Après les couleurs d’octobre, l’affalement. Les arbres plient ou se cassent. Et ton corps posé à moitié sur la ville. La part qui se fond dans le temps.
L’abat-jour suspendu, le livre aux pages blanches, les verres trop près du bord. Et remonte l’image de la vieille machine à café. Tu revois où tu l’avais mise le jour où tu l’as oubliée dans ce coin-là du monde. Quand c’était devenu trop loin, trop tard, trop de route pour la peine. Pareil pour le cahier, mais qu’allais-tu en faire – c’est autant de murs et de mots qui tiendraient de raison dans tes désordres de mémoire.
Et à partir de là, t’as plus qu’à inventer l’histoire. Celle où tu vides le salon, livre après livre. Où tu meurs plus tranquille ou pas. La lumière sur le plancher. Au petit matin, la cuisine. Et toutes ces heures qui passent sans penser au miracle.
Il ne vient plus d’oiseaux sur la rampe du balcon noir. Malgré le fol automne, l’hiver garde le dernier mot. Et le pli de ton âme où tout est comme tout doit être. Au plus près de la neige. Et du vent et du ciel.
Photo : LA MUSIQUE DU BLANC * Le 11 Novembre 2025 – Montréal
Qui m’a vue qui me voit, dit Maude. Le ciel penché. Ou le vent qui insiste.
En attendant, le froid s’installe. Je me vois déjà m’énerver devant le temps mis à m’habiller pour sortir marcher. Heureusement qu’il y a la neige. Et les vents qui mordent les joues. Appelez-moi masochiste ici, il faut bien l’être un peu. Sinon c’est le jour où mon père, qui berçait un coeur de tristesse, a tendrement pincé les miennes, rougies par le froid. Je ne sais ni quoi ni pourquoi.
Les arbres sont presque nus et bien des oiseaux sont partis. Et bien d’autres se taisent pour ne pas être vus.
Photo : LA PLUS SIMPLE TENDRESSE * Novembre 2025 – Montréal
L’asphalte est mouillé. La lumière a changé. Le ciel est blanc derrière ce qu’il reste d’orange. Je tourne le regard et je les vois tomber.
Elles se sont accrochées, les feuilles. Tremblantes, jour après jour, sur des fonds de ciel bleu. Et ce matin, après la nuit, elles jonchent les trottoirs et la rue. Et les parterres aussi.
Je pense que s’en va là le plus bel automne de ma vie.
Il suffit d’un rien pour sortir, se dit la fille. Du sel. Et du miel s’il vous plaît. J’ai un peu des deux dans mon sac.
En voilà une autre qui tombe, à l’envers du ciel. Sur la rive d’asphalte. Une belle qui se prend le vent.
Et la fille enroule son foulard comme autant d’amours fous. Comme toutes ces histoires qu’on habille pour ne pas avoir froid.
Et toi tu joues à tenir l’anse, à tirer vers la lèvre, à chercher comment ne rien dire sans avoir à te taire. Comme la feuille qui valse. En sublime incendiée.
Photo – L’AUTOMNE S’EN IRA * Octobre 2025 – Montréal
Tu n’imagines rien, rien qui ne soit ailleurs que dans nos solitudes. L’absence reste aussi pleine que la pluie arrêtée. Que l’écume que tu trouvais belle, au bord du lac, dans le vent et le froid. Et là dans le vacarme, tu ne sais toujours pas pourquoi, enfant, le long de l’autoroute, à travers la fenêtre du station wagon, tu aimais autant les quenouilles. En attendant, les drames s’enchaînent sans prendre soin. Et tu ne trouves rien à craindre, ni le bris ni le ciel. Ni l’odeur des nuits et des lits, ni les froids mordants de l’hiver. Un matin comme les autres qui repart en poussière.
Et ma voix faite de mémoire. Pleine d’autant d’oublis où je joue à me perdre. Je m’y suis rendue en marchant, sans savoir d’avance. Sans vue décente. Je navigue encore d’espoir. Peut-être que le coeur y tient.
Photo – INSENSÉE, LA BEAUTÉ * Hier – Montréal 2025