Le temps contre les roses

La même rive, la sueur sous les yeux.
Dans l’aube qui s’égrène, une poignée de cailloux
et de mèches humaines.

Cette idée de brouiller les jours comme
on brouillerait des cartes. Ne savoir ni où on s’en va
ni où on en est, n’être nulle part ici. Flotter
dans un éther de roses, de sang et d’abstractions.
Là où le temps ne trouve plus où passer.

J’aime la forêt et le champ.
L’une pour ses profondeurs, l’autre pour sa lumière.
Et la rive. La sueur sur les lèvres.

Évidemment, la mer.

Photo : LES DOUX EMMUREMENTS * Juin 2023 – Montréal

Presque juillet encore

où m’arrêter

je n’ai pas su l’endroit
je ne sais jamais trop –
j’aime surtout à l’aveuglette
mes gros pieds dans la boue

ça n’empêche pas le vent
de faire danser les feuilles

finalement hier
c’était les mêmes feux
leur fumée qui emplissait l’air –
le vent l’a poussée sur la ville

presque juillet encore
et plus que la lumière, c’est la chaleur
qui me manque d’avance –
le poids apaisant de l’humide
des gouttes invisibles

Photo : LE TENDRE TORRIDE * Juin 2023 – Montréal

Le même frémissement

la cour est belle
plus belle encore que je ne la vois
et l’oiseau qui chante à tue-tête
vas-y  l’oiseau
la vie déjà partie
la vie qui partira

et ce vent sur la peau des feuilles
le ciel qui roule sa musique
tout ce qui finit par finir

c’est tout mon corps et tout ce blues
le solstice est déjà derrière

Photo : QUELQUE CHOSE DE LA JOUISSANCE * 23 juin 2023 – Montréal

La cinquième heure

Tsé mon beau Gaby, les choses ont bien changé. C’est maintenant et tout de suite entre nous et le monde.

la chaise est tiède et
l’air se gorge

je m’accroche aux syllabes
et aux heur’s chaudes qui s’en viennent
    (où jouir sans compter)

à la rivière aussi
contre le bruyant de mon sang

et là déjà d’errer dessus la cinquième heure
jusqu’au premier oiseau

Photo : SUR UN RETOUR * Juin 2023 – Montréal

Le bruit

Sa fleur est belle pourtant, mais le rosier d’Aberdeen avait grand besoin d’eau.

Je me suis levée ce matin sans trop savoir combien il me reste de soeurs. Je sais seulement qu’il en manque une, qu’elle a quitté l’histoire quelque part sur un coup du temps, entre les larmes et la tendresse.

Et puis le même bruit est monté de la cave. Mais je n’y descends plus. Avec toute la bêtise déjà qui vient salir les pans de l’aube, le rez-de-chaussée me suffit. Son long corridor par exemple. Avec les mêmes toiles, les mêmes photos, les mêmes visages de ma vie. Les mêmes bijoux aussi, accrochés là comme des pièces de musée. Et la minuscule cuisine, d’où je vois le jardin en faisant mon café. Et enfin cette chambre, où je dors et j’écris. D’où j’observe la rue, entre les mots et les silences. Comme là le vent qui souffle dans les feuilles. Et le gars à vélo, qui roule paisiblement. Ce sera une journée différente et pareille à bien d’autres. À moins que tout ne glisse.

Ce même bruit encore. Mais je ne descendrai que si je suis certaine que c’est un coeur qui bat.

Photo : LE VISAGE DU MONSTRE * Rivière du Nord – Juin 2023

Autour des poussières

Y a même pas un seul quai de gare.
Seulement de longs retours de vent
avec des nuits qui tombent.
C’est dire ce à quoi on s’expose
quand le matin s’avance.
Un cahier gris aussi sur la table de chevet.
À côté d’un crayon de bois.
Assez pour que nos finitudes se mettent à ressembler
à de grands oiseaux atlantiques.
Et au jour qui revient sans mémoire d’hier.
Suivant la trace de ce qui meurt pour
nous pousser à vivre.

Photo :  DE CE ROSIER REÇU * Juin 2023 – Montréal

La filante

et là comme un hymne peut-être
à une eau fugitive

d’y jouer ce qui tombe sur une
saison de force, ce qui mêle le muscle
encore filé d’espoir, ce qui monte
et descend, et de lune et d’orage

cet éreintant qui verse
même des coups de rien

Photo : UN CANTIQUE * Juin 2023 – Montréal

Ce qui traverse

Et la nuit et ces cris que j’entends sans entendre. T’auras été une étrangère du début à la fin. Est-ce ainsi qu’on rêve d’ailleurs?

L’écorce est restée fine et partout on voudrait des os – si mon ventre coulait de sève, elle serait brûlante.

En attendant, est-ce que mes morts me suffisent, et ce vague désir?

Photo : VERS UN ALLÈGEMENT * Hier – Montréal

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