Histoire de sable

Samedi matin sept heures. Sur le trottoir une fille court, son foulard au menton. Juste derrière, un homme boite, sa tuque enfoncée jusqu’au cou. Il fait donc plus froid que j’y vois.

On aura reconnu l’aïeule. Et les longs tremblements qu’elle n’essaiera plus de cacher. J’y suis encore, vous dirait-elle, entre les lignes et par-dessus. Sans jamais trop savoir, sans trop vouloir non plus. Seulement que tout suffise.

Et le temps continue d’ensemencer le doute. Ce sera ça ou rien. Comme l’univers dans le sang et toutes les rivières vivantes. Et au milieu du bas, de la page ou d’ailleurs, des tendresses appliquées sur les désirs fourbus. Le château s’est aseptisé, c’est la danse des rois.

Quand même le printemps ne revient pas sur ses promesses. Non plus sur les raisons du corps, comme l’algue fine au bord des yeux et le grain à la gorge. C’est une même histoire de sable.

Photo – LES CORRIDORS DU MONDE – Mars 2024 * Montréal

Les courants dominants

C’est autant d’idées dans
la cale, à l’abri des vents
qui arrachent.

Et c’est le printemps
qui s’en vient.

Photo – RAYON BLEU – Mars 2024 * Montréal

Obumbratio

une langue brûlée comme vive
et le revers du monde –

et l’oiseau et l’aurore
déjà l’idée que ce soit ça

le printemps quand même se rendort
sans le signe attendu

personne ici non plus ne se remet de vivre

Photo – DETENIRE – Mars 2024 * Montréal

Oboedientia

La rue et la neige fondante.
Et de brider l’ardeur jusqu’à n’y plus jouer que
les notes accordées.
Et c’est sans parler du piano ni du silence de la corneille
(jusqu’à fouiller l’obituaire) ni non plus de l’ourse qui dort
et des heures qui s’en vont.
Tu te remets bien mal de tes obéissances.

Photo – SE LANGUIR DE – Mars 2024 * Montréal

De grand soleil

D’errer sur nos corps en barbeaux et les mots qui s’emmêlent –
combien de laines se démaillent, y avait la vérité
comme un espoir au chaud.

J’ai à ma droite le sourire de ma soeur, en plein milieu, entre moi et dehors.
C’est un lundi de grand soleil et le ciel qui ne s’use pas.

Photo – UN MATIN DE COUR – Hier * Montréal

Dorsale

La neige qui étend sa blancheur. On est tôt samedi, avec moins de voitures. Rien n’a encore souillé le couvert de flocons. 

Sublime-moi. Mais attends d’abord tout de moi sans jamais rien attendre. Même à bâtons rompus, je n’en suis pas moins là. À ce jeu d’y prendre le jour pour que le laid ne me prenne pas la tête.

Photo – DE MA FENÊTRE, LA LIGNE DU TROTTOIR – Aujourd’hui, à 9h

Materia

Un vieux chien de métal, un café chaud et des lettres d’hiver. Et j’y trouve autant de manières d’y avaler la route. Ceux qui marchent longtemps le savent : on s’attache à ce qu’on enjambe.

J’ai eu vent de l’histoire, dit-elle. Celle de l’homme tombé sur un flanc, sa chair brisée par en dessous. Il est autant de formes étranges emportées par le temps qu’il est de branches sous la neige.

Photo – ET D’Y SENTIR LE VENT – Mars 2024 – Montréal

Lapsus calami

Que ne suis-je la mer, son silence berçant.
Et sa fougue, qui ne fuit pas le reste.
Le lapsus était beau, c’est vrai.
Quand même le sentiment qu’on y perdait au change.
Un semblant de naufrage.
En attendant, le vent chaud me reste porteur malgré ses courants anonymes.
Mais il faut voir dedans ma barque l’aïeule et les suites sanguines. 
Et sur ce le temps qui invente une autre fin d’hiver.

Photo – LE MOUVEMENT DES JOURS – Mars 2024 – Montréal

Sortant de saison

J’y vais de maigre bouche, c’est plus tranquille ainsi. Au lieu de rien quand même, je te dirai l’herbe jaunie, les feuilles rousses, le trottoir bruni par la pluie. Le teint chaud de ma rue au sortant de l’hiver. Et mon désir qui continue d’y voir le matin qui s’engage, les jours qui se rendent, la pression qui bascule, et les chiens qui nous mordent l’âme.

Photo – CHAUDE CARESSE – Avant-hier – Montréal

Gouttes

C’est une autre histoire de temps gris, de temps qui passe aussi, comme cet homme jeune et beau qui vient de longer le parterre où il ne reste de la neige qu’un souvenir imprécis. Et le voisin dans sa voiture qui vient de décoller, je sais qu’il s’en va au travail et qu’il a vu sa vie changer tout au long de l’année dernière, une histoire de corps et d’époque. Et mon amour pour le printemps, le printemps le matin, les gouttelettes dans l’air, telle une pousse qui voit l’aube.

Photo : UNE SAISON – 5 mars 2024 * Montréal  

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