Savoir et pas savoir

et s’en viennent les roses et les mûres
en attendant vas-y, bois le sang de la vieille

si seulement le voisin faisait taire sa scie
mais je sais, c’est un si beau matin

et ce bout de pain noir
qui se gave d’oiseaux sur un battant de l’aube

on voulait pas savoir et surtout pas la suite
ni le pied ni les orteils pliés

ni les os ni la moelle
ni le poids ni de rien ni des jours

Photo – ENCORE TANT QUE LE MONDE * Montréal – Mai 2024

Doute et vernis

T’as nettoyé la table de sa poussière d’hiver. Tu t’es assise dehors pour faire taire le doute. Mais il a la couenne dure en dépit des oiseaux.
Là que sonnent les cloches de l’église, tu revois les souliers en cuir noir patent que tu enfilais pour la messe. Et tu penses à ton père, au magasin vendu quand tu avais douze ans parce qu’on cherchait trop l’apparence, plus assez le confort – c’est comme ça qu’il te l’avait dit. Il est mort trop jeune ton père. T’as pas fait grand voyage à l’intérieur de lui. T’aurais mieux compris votre histoire.
C’est un autre drôle de dimanche. T’as encore oublié le passage du temps. Mais le ciel est franc bleu. Et le vieux lilas a fleuri.

Photo – LES TENDRESSES DE MA VILLE * Montréal – Mai 2024

Faits et gestes

« […] c’est là, dans ton corps, que toute l’histoire commence,
et c’est aussi là, dans ton corps, que tout se terminera. »
Paul Auster, Chronique d’hiver

LES FAITS
Je ne m’assagis pas : avec l’arrivée du printemps vient ma hantise de sa fin.
Je ne suis pas jalouse des hommes mais un peu des oiseaux.
LES GESTES
Celui d’écrire. Comme on boit, comme on fume. Je bois à peine, je ne fume plus, mais j’écris. Avec mon café et des livres en piles autour de moi. Une fenêtre à ma droite, des voitures et des gens qui passent. Et ces jours-ci évidemment, un trottoir plein de fleurs d’érable.
Tu m’as dit que t’allais couper les grands fouets qui longent la mare. Tu veux un coin au bord de l’eau pour parler aux oiseaux. Vivement les oiseaux.

Photo – ET CES ENFANTS QUE J’AIME * Avant-hier – Montréal 2024

Dilemmes et bobinages

La queue du chat n’a pas bougé, papier mâché oblige.
Mais celle du tigre a coloré l’horizon dans ma tête.

Te souviens-tu des exigences qu’on avait en matière de rouille?

Dans un flou suggestif, rien qui n’embobine les âmes
ni ne cherche à confondre les chiens et les froidures.
Ça reste noir sur blanc, comme du fil de carême.

Une fille est passée en balançant les bras comme deux
longues manivelles. Je l’ai vue se mettre à rouler.

De quoi faut-il pleurer, dis-moi, et quand faut-il en rire?

Photo – LE BEAU DANS LE LÉGER * Hier – Montréal 2024

De quoi se perdre

et le temps qui se tient
et le piano

je sais pas pour la mort
c’est si vivant tout ça
avec toujours de quoi se perdre
le lourd et le léger
les voix et le violon
et de quoi ramasser les cendres

Photo – ET LE TRAIN QUI NE PASSE PAS * Hier – Montréal 2024

Corps de langue

et tous ces trottoirs à me faire
et ces mots qui me prennent

de l’eau pour les feux qui me brûlent

j’oublie, tu vois

et là, le soleil qui descend

moi si infiniment perdue
et bienheureuse de l’être

amoureuse encore d’une langue
qui pour autant que je me donne
m’arrache parfaitement à moi-même

Photo – LE RÊVE DE L’ÉTOURNEAU * Mai 2024 – Montréal

Près du bord

la lumière a viré d’un coup –
un mouvement de nuage

ces bouts d’enfance en vert-de-gris
sous le toit des églises

quand même la même passerelle
pour arriver au lit des roses

je tiens mon visage près du bord
pour mieux sentir la pluie

Photo – DANS LA LIGNE DE L’OXYDE * Mai 2024 – Montréal

Nulle part que la mer

Je l’imagine se pencher sur une fleur
comme on se libère de la colère du monde.
Et marcher comme on marche
quand on a nulle part à aller d’autre que l’amour.

Je n’ai gardé de mon enfance qu’un sentiment surtout. Quelque chose d’une rivière où se laisser porter. On ne contrôle pas la rivière, au mieux on épouse sa course.

Hier, deux étourneaux picorant dans la rue m’ont fait pencher la tête. Encore ce même indéfectible pour les oiseaux noirs. Il y a quelques jours, il était noir aussi le pigeon étendu au milieu du trottoir que j’ai déplacé dans la ruelle pour qu’il puisse reposer en paix. 

Ce matin je remue les mots pour y dépouiller les os plats de ma tête écarlate.

Photo – TOUS LES RUISSEAUX DU MONDE * Hier – Montréal 2024

Primus tempus

Quand tu m’appelles ‘mon p’tit loup’
Avec ta petite voix
Tu panses mes bleus
Tu tues tous mes papillons noirs
(Jean-Pierre Ferland, 1934-2024)

Il peut suffire de presque rien pour voir le vent changer.

En attendant, la pluie tombe de haut. Elle fait des flaques, des petits lacs de larmes. Ou des miroirs sous les érables. L’air est si froid encore que les deux forsythias restent accrochés à leurs fleurs jaunes. Ça nourrit ma patience.

Je marche dans la maison avec mon beau chandail de laine. Et je pense à Christophe qui n’a pas pris de parapluie.

Photo – LA FILLETTE ET LE CHIEN * Avril 2024 – Montréal

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