Riflesso

J’ai oublié, dit Laure. Entre mon désir qui balance et la rivière quand j’y suis, les mots me tiennent compagnie. Ce n’est pas ma nature de laisser des cailloux derrière. Et si tu veux vraiment savoir, je ne tends pas souvent mon verre. Et jamais aux ensorcelés penchés au-dessus de la mare. Je bois surtout à l’infini. Et au diable le reste.
Quand même juillet qui repart. C’est à peine s’il a atterri. 

Photo : POIDS LOURD – Fin juillet 2025 * Montréal

La laideur d’Anastasie

Dimanche. Le vent. Et un vase fait pour y mettre une seule fleur à la fois.

Clara est assise dans la chaise, celle qu’a fabriquée mon grand-père. Cachée par le rideau, elle espionne la voisine d’en face qui lit sur son balcon. Avec ma caméra, elle se rapproche assez du livre pour voir que c’est Malraux, et le titre Antimémoires. Elle fouille tout de suite dans Babelio.
– Écoutez ça : « La vérité d’un homme, c’est d’abord ce qu’il cache ».
Maude sourit.
– De quoi jongler pendant des jours, dit-elle.
Et Clara d’énoncer doucement son amour parfait de la chose. 
– Les mots c’est pas des guns.

Et par chance aussi la musique. Les âges de la lune et la chaleur des pianos. Et les comme-celle-rencontrée dans la cour d’Alice et Raoul – j’écris qu’elle s’appelle Arianne pour ne pas l’oublier. J’ai mis dans ses mains l’abat-jour que je venais de ramasser dans un tas d’objets à donner. De toute façon, moi et les choses de maison.

Photo : BEAUTÉ DE CARREAU – Juillet 2025 * Montréal

Lettre à une reine

La baignade nous a fait du bien. Même si Maude s’est encore battue avec des noeuds dans ses cheveux.
En attendant, la ville est belle mais le mois a passé trop vite. Chaque jour le soleil change de place sur la maison d’en face et le vent s’est franchement moqué de mes beaux espoirs de juillet. J’aime mieux la vraie chaleur, c’est tout. Humide et franche et sans détour. Jamais je me fâche après elle. Même que j’aime ça quand elle m’écrase. En plus, mon cerveau ralentit.
Maude m’a dit pour sa grand-mère. Qu’elle était bordélique comme cent et qu’elle racontait que le vent est l’amant du désordre et qu’un jour les cheveux de Maude seraient aussi fins que les siens. Et qu’on n’était pas à blâmer pour le ressentiment des autres, que l’envie mène au pire, et qu’il faudrait pas oublier que la peur a la cote aux yeux des rapaces de ce monde. Crée Maude. On s’en sortira pas.
Oh, et ton livre. C’est vrai que je l’ai magané. Glissé plein de fois dans mon sac sans trop faire attention. Mais c’est tout moi, c’est pas nouveau.
Tu m’as pas dit pour ta couronne.

Photo : (ELLE AVAIT LE PAS HÉSITANT…) – Juillet 2025 * Montréal

Apparentiae

De marcher dans ma ville –
ma connue qui me reste inconnue.
Tout vouloir depuis les apparences.
Comme ce matin le froid sur mes pieds.
Et rire de me plaindre des emportées du vent.
Tout ça n’est pas sérieux et encore que des mots.
Mon pays c’est l’hiver jusqu’au coeur de l’été.

Photo :  POUR CET AMOUR DU TEMPS  – 20 juillet 2025 * Montréal

L’eau et le vent

Je suis retournée là où j’avais vu le livre.
Je l’ai cherché sans le trouver. Mais j’y retournerai.

J’y ai vu de virer de vieilles habitudes.
Mais y a encore de l’eau. Et le vent sur ma peau.

Et les pianos du monde. 

De savoir pourquoi je m’entête.
Et puis tous les milliers de mots.

Photo :  DEPUIS UN AUTOBUS – Aujourd’hui * Montréal

Tomate cerise

J’ai fait déborder mon café et me suis cogné un orteil –
c’est juste trop froid pour ce temps de l’été.

J’ai vu Aldo aussi, mon beau prince aux yeux bleus.
Son sourire devient triste quand il me parle d’elle –
treize ans qu’elle est partie.

Il m’a donné de l’ail et sa première tomate.
Quoi demander de mieux.

Et ce matin le ciel est gris.
J’ai l’été qui s’en va ou du moins dans ma tête.

Ça va revenir, me dit Jeanne, en étirant le cou.
Elle cherche à revoir un oiseau.

Photo :  LA NOSTALGIE – Été 2025 * Montréal

Spissus

J’aime le son de la pluie. La moiteur des nuits aussi. Tout ça avec rien à vendre. J’y trouve ma raison contre la bêtise brûlante qui s’empare d’une part du vide. Même quand je m’éveille en nage.
Dans la cour près de la ruelle, dans la plus vieille partie du drame, le chèvrefeuille est sec. Les oiseaux y viennent quand même. Comme sur le gros fil électrique. Et dans l’érable aussi, où les feuilles foncent déjà. L’hiver dans ses habits d’été.

Photo : L’ÉPAISSEUR DES JOURS – Juillet 2025 * Montréal

Sonate

Avant-hier ma soeur m’a appelée pour me dire que dans son bois là-bas ça tombait comme des cordes et qu’à bien y penser le frisson lui venait du vent, des bouleaux presque à terre. J’ai cherché la photo, celle dont je t’ai parlé avec les très grands arbres et les petits humains, je la retrouverai, tes questions sont brûlantes. Là dans l’instant je regarde celle de la fillette et du beau canard endormi à la dernière consolation. C’est un solo d’oiseau, une sorte d’abri, me dit Maude, contre le jour domestiqué. Quant à mes pensées qui s’égarent, c’est vrai que ça prend pas grand-chose. Hier dans la ruelle de Gaby j’ai vu la nouvelle locataire qui tricotait sur son balcon et je lui ai parlé de lui, de ma grand-mère Alice, du grand bol de bonbons, de la soupe au poulet, et de la place du piano contre le mur du fond.

Photo : LES BELLES TROMBES – La cour, avant-hier * Montréal

Parure

Cette senteur dans la cour, ce parfum d’après la nuit moite, et comme tous les matins, ce désir de trouver des mots pour parer le silence, crier plus fort la beauté, jusqu’à celle des ruines, sachant que je n’arriverai encore qu’à l’imiter un peu.

Photo : UN BANC POUR LIRE – Juillet 2025 * Montréal

La nuit nue

Un immense coup de vent. C’est toujours lui qui s’insinue, au bonheur ou au dam du monde. Il fera chaud. Très chaud encore. Les roses naines n’ont pas duré, celles qui étaient près du balcon. Mais dis-moi tendre capitaine, le corps n’est-il pas un ruisseau au plus clair du ventre et de l’oeil ?
Quoi qu’il en soit, le matin où on partira, je me demande combien de gens voudront encore de cette cour, si belle d’être un peu folle. Si ça dépendait du voisin, tout ça disparaîtrait. Parce que l’asphalte le rassure. Le souvenir de sa mère, dit Maude, qui au plus gelant de l’hiver sortait la nuit nue dans la rue. C’est la peine, dit Laure, qui le fait se braquer, les regrets ou la honte. Et Maude est d’accord avec elle. C’est pour ça que rien ne dépasse. Qu’on enlève ce qui le dérange. C’est du temps donné à l’oubli. La fêlure dans la cuve, le rien et le toujours. 

Photo : LA RUE, LA FLEUR ET LA PLUIE – Là tout de suite, depuis la fenêtre * Montréal

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