La robe glaise

Dans un monde où les mots ouvrent et ferment l’espace, le temps s’épuise doucement. Comme s’il était premier et dernier à savoir.
J’ai marché dans l’air mouillé. Seule. En partie sur la voie ferrée. Y avait des os à voir. Et des pierres à gruger. Un tien méli-mélo. Un beau casse-tête sans sa boîte ni aucun complément direct.
Mais surtout, la robe était parfaite.

Photo : RUE SAINT-GRÉGOIRE * Hier – Montréal 2025

Les noeuds

et ces états de ville et ces états de neige
jusqu’au ciel blanc que d’autres diraient morne

je ne suis pas indifférente
ni à la femme au long manteau qui attend tranquillement
son chien
ni à l’absence des oiseaux

il y a eu cette sensation que j’allais mourir là
du coup, prise à la gorge

ce qui en est resté

de quoi te demander
si ta bouche pensive attendait l’accord d’un mot
et ce que c’est que d’être toi

Photo : ON AURA CONNU LES RUELLES * Novembre 2025 – Montréal

Carminem

une aube en peaux de lièvre –
c’est même pas décembre

tant pis, l’hiver sera l’hiver 
et l’époque, l’époque

je m’arrangerai avec tout ça
pourvu que tu frissonnes un peu
quand je délacerai mes bottes et que
je plongerai mes pieds
sans doute pour t’impressionner
mais surtout pour te plaire
dans l’eau glacée de la rivière

Photo : NOS ABORDS * Avant-hier – Montréal 2025

Commissures et dortoirs

À quelques portes au nord, les ouvriers
frappent aussi fort et plus souvent.
Le froid qui les presse peut-être.

Je mets Gould entre nous.
Les moineaux connaissent bien le jeu,
qui sautillent au soleil et choisissent la neige
au lieu de la rampe glacée.

Je retourne à tes commissures,
qui restent immobiles mais tendres. 

J’aime te sentir près, dans le même dortoir.
Sous le soleil chargé et le temps carabine.

Photo : LA BRILLANCE DÉPEND DE L’ANGLE * Hier – Montréal 2025

Goldberg Morning

Sept heures du matin. Je l’ai aperçue de très loin, de très haut dans la ville. C’était la belle histoire. Tout dire et ne rien dire en passant par l’aurore remplie d’autant de neige. Le ciel et sa peau blanche, mouillée d’autant de jours, la même histoire d’amour. Et soudain dans ma tête des mots surgissent de nulle part. Good Morning America, dit la voix. Le titre d’un talk-show aux USA. Un titre qui à force de temps a pris des airs de locution.
     Mon cerveau est une drôle de bête. Mais je dirai à sa défense qu’en sortant du lit ce matin je pensais à San Francisco. Aux quelques jours que j’ai passés dans cette ville en pentes, avec ses maisons pâles, ses cafés à se vivre. Du temps où le mot liberté avait tout le poids de l’amour, et quand s’en réclamer ne sous-entendait pas qu’on veuille arracher celle de l’autre.
     Il m’arrive de m’en vouloir. De ne pas, de ne plus, dire le fond de ma pensée. De me cacher derrière les mots. De me taire de plus en plus fort. Et tout ça pour être tranquille, loin de la polémique. Tout ça pour apaiser mes heures.
     J’écoute Gould. Je ferme les yeux et je suis dans son corps, et dans ses mains. Et je suis bien. Un peu triste, mais bien.

Photo : LE TEMPS DE VIVRE * Avant-hier – Montréal

Condemnare

Le ciel est bleu. La neige borde les trottoirs. On est samedi matin. Dans le petit pommier qu’on a mis au bord de la rue il y a quelques années, ce qu’il reste de feuilles fait flamme sous le soleil.

Je suis faite de tant d’absences, me dit Maude, de tant de tout et d’absences. Hier, c’était moi. Et quelque part depuis, à travers les heures, des morceaux ont cédé. 

Les mots me tranquillisent. C’est pour ça que je vais vers eux. Je les fréquente autant que je fuis la bêtise. Ils m’aident à desserrer le noeud, me laissent libre du miracle où je suis condamnée vivante. Condamnée à respirer l’air, et toutes les particules.

Photo : LA GRANDE BEAUTÉ * Le 14 novembre – Montréal 2025

Nos folles histoires

Plus je laisse passer de jours,
plus le monstre s’agite, dit Laure.
Et toi qui te réfugies là sans penser à la suite.
Là dans les tas de feuilles mouillées,
les flaques, le bruit des flaques, la blancheur
du ciel, tes yeux, mes yeux. Et nos folles
histoires à n’en jamais mourir.

Photo : MONTRE POUR VOIR * Le 11 Novembre 2025 – Montréal

Inflexio (le miracle)

Après les couleurs d’octobre, l’affalement. Les arbres plient ou se cassent. Et ton corps posé à moitié sur la ville. La part qui se fond dans le temps. 

L’abat-jour suspendu, le livre aux pages blanches, les verres trop près du bord. Et remonte l’image de la vieille machine à café. Tu revois où tu l’avais mise le jour où tu l’as oubliée dans ce coin-là du monde. Quand c’était devenu trop loin, trop tard, trop de route pour la peine. Pareil pour le cahier, mais qu’allais-tu en faire – c’est autant de murs et de mots qui tiendraient de raison dans tes désordres de mémoire.

Et à partir de là, t’as plus qu’à inventer l’histoire. Celle où tu vides le salon, livre après livre. Où tu meurs plus tranquille ou pas. La lumière sur le plancher. Au petit matin, la cuisine. Et toutes ces heures qui passent sans penser au miracle.

Il ne vient plus d’oiseaux sur la rampe du balcon noir. Malgré le fol automne, l’hiver garde le dernier mot. Et le pli de ton âme où tout est comme tout doit être. Au plus près de la neige. Et du vent et du ciel.

Photo : LA MUSIQUE DU BLANC * Le 11 Novembre 2025 – Montréal

Le bal des oiseaux

Qui m’a vue qui me voit, dit Maude.
Le ciel penché. Ou le vent qui insiste.

En attendant, le froid s’installe. Je me vois déjà m’énerver
devant le temps mis à m’habiller pour sortir marcher.
Heureusement qu’il y a la neige. Et les vents qui mordent les joues.
Appelez-moi masochiste ici, il faut bien l’être un peu.
Sinon c’est le jour où mon père, qui berçait un coeur de tristesse,
a tendrement pincé les miennes, rougies par le froid.
Je ne sais ni quoi ni pourquoi.

Les arbres sont presque nus et bien des oiseaux sont partis.
Et bien d’autres se taisent pour ne pas être vus.

Photo : LA PLUS SIMPLE TENDRESSE * Novembre 2025 – Montréal

Incĭdens

Je ne me vois plus, dit Laure. Ni nue ni habillée.

Les notes du piano, légères et minuscules.
Et tout le silence autour.

Je regarde une fille qui marche, lentement,
en regardant devant. Elle tire sur la laisse sans
détourner la tête. Rêveuse. Ailleurs.

Novembre glisse. La toile du ciel tremble encore.

C’est le même incident toujours, du matin qui me trouve. 

Photo : LA PLUIE SE DONNE * Hier – Montréal 2025

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