Plicare

L’érable est complètement orange.
Sur le trottoir d’en face, une fille s’est arrêtée
pour donner le temps à son chien.

La peine est allée s’allonger sur un portrait de pierre.
Une rose s’est repliée sur le bout d’une langue.
J’entends la même plainte qui monte d’un piano.

Fais attention dans la ruelle.
J’ai trouvé au bord de la porte des morceaux de verre cassé.
Au cas où il en resterait.

Photo – CHEMIN D’AUTOMNE * Parc Laurier – 14 septembre 2025 – Montréal

Reste, corneille

Mon café dans les mains, je me suis avancée vers la fenêtre pour regarder la cour. Au même moment, la corneille se posait au coin d’un toit de l’autre côté de la ruelle. J’ai dit « reste, corneille, reste un peu, ça fait longtemps que je t’ai vue ». Mais elle est partie, la corneille, sans demander son dû.

Ces derniers jours, je fais le même détour pour me rendre nulle part. Cachées derrière des feuilles se trouvent des grappes bien mûres.

Photo – LUMIÈRE D’AUTOMNE ET SAXOPHONE *  13 septembre 2025 – Montréal

Transmutare

Matin bleu de septembre. Tu tournes dans le même lit, vogues dans le même bateau. Et puis les mots et la beauté, et cet élan aussi étrange qu’intarissable, reviennent te prendre et t’occuper à autre chose qu’à la guerre, transmuer les dérives et les désillusions.

Photo – PISTER LE TEMPS * Septembre 2025 – Montréal

La petite cuillère

Aussi pleine que toujours, la cour n’entend pas à rire.
Les tomates fusent de partout.
C’est encore l’asphalte qui en prend pour sa grippe.

Alice erre sous le plafond en attendant qu’il tombe.
Chaque jour elle soûle ses fatigues devant l’impotente plénière.
Aux jugements provisoires qui servent à calmer les esprits,
elle préfère le thé,
qu’elle boit désormais à la petite cuillère. 

Photo – LA BELLE PAIRE * 7 septembre 2025 – Montréal

Eludere 2

Je ne sais toujours pas pourquoi, enfant,
j’ai tant rongé mes ongles et les peaux tout autour.
Je ne sais pas grand-chose de moi.
Mais le vent, je sais que j’aime le vent.
Et qu’il a soufflé fort hier,
assez pour changer bien des choses.
Je sais aussi que le butor
aime les courants bas et les langes souillés,
et les corps et les âmes à portée de bêtise.
   Une petite voix sur le trottoir
vient de poser une question. Et celle d’une femme
lui répond le plus doucement du monde.
La fenêtre est encore ouverte.
J’entends même les pas de passants
de l’autre côté de la rue.
   Chaque jour un peu mieux que la veille,
j’élude et je m’esquive. Regarde quand même
où tu vas, dit Maude, tu as les épaules exposées.

Photo – ELLE COURAIT DANS LA PLUIE  * Hier soir – Montréal

Amour et vraisemblance

Je me demande bien si.
Si quoi, dit Laure.
Si les fleurs nous sentent.

Après m’avoir pris mon couteau, elle s’est assise, comme s’assoit une reine. Le plus grand des oiseaux s’est approché sans qu’on le voie venir. Un genre d’échange, dit Laure.

Puis le voisin s’est mis à cette manie qu’est la sienne. De faire briller le laid.

On a rejoint la rue. Et les feuilles qui commencent à rattraper le sol. Des coins de trottoirs se rhabillent. Partout autour le son persiste d’un silence bien appris.

Il est toujours temps pour ces choses auxquelles je ne peux rien.

Photo –  RUE SAINT-LAURENT  * Septembre 2025 – Montréal

Pain trempé

C’est l’hiver dans sa suite jusqu’au bout de l’été.
Ce qui serait facile : aller te porter de la soupe. Vu qu’hier il faisait plus froid.
Les autres veines sont indociles, gisantes au pied de l’arbre.
Les oisillons sont bien cachés.
Et pour le reste je m’en vous, je me tout, je mens fous.
C’est le bleu d’une belle histoire. Même sans rien.

Photo – C’EST UNE FILLE, PAS UN NUAGE * Hier – Montréal

Sudare

Et ce chaud, ce bruit de chaud.
Cette horloge sans aiguilles.
Et là, tes épaules.

Le lin comme une deuxième peau.
Et tu lui donnes le corps de ton matin.
De ta nuit qui se rend.

Tes pensées iront où elles vont.
Tous les tissages faux font crier la suée.

Je garde un faible pour les anges déchus.
Il pleut dans la cour. Mais pleut-il ailleurs?

Photo – EXISTERE (SORTIR) * Hier – Montréal

Leviarius

La chaise est belle dans le coin. Quelqu’un l’avait mise sur la rue à cause d’une petite fente le long d’un barreau noir. Et là cette autre chaise, qu’Émile avait faite pour Denise quand elle marchait à peine. Celle qu’elle a gardée comme sa peine jusqu’au bout de ses jours.
C’est un trop-plein, c’est tout. C’est rien d’autre que ça. Ça va et vient et ça repart, pas de quoi en faire un cachot. Si je t’envoyais chaque plume qui atterrit sur le trottoir, j’aurais peur qu’à la longue, ça devienne trop lourd. J’ai mis un long temps à tomber pour ne garder que les ruisseaux, les chemins de rigoles.

Photo – ABANTIARE * Août 2025 – Montréal

Le bord du temps

J’étais en bas, me dit Clara. J’ai passé l’aube là, à feuilleter de tendres demeures. Quand j’ai lu la nouvelle hier, je me suis rappelé la caresse, les chats aimés, et les mots et les femmes, l’île d’Orléans et le fleuve. Qu’il soit parti vers d’autres aubes avale un peu le bord du temps. Et c’est trop tard pour lui écrire comment il a bercé mon âme avec entre autres ses grandes marées, son vieux chagrin et sa tournée d’automne. Bon vent, Jacques Poulin. Merci pour les si belles histoires.

Photo – HIER, TOUT SIMPLEMENT * Août 2025 – Montréal

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