Les larmes des cerfs

C’est encore Aude sur son matin. Aude dans sa tête, Aude dans son coeur. C’est l’âme d’Aude qui part à la renverse. Toujours trop tard, toujours trop loin. Et la voix de sa mère, et les bourrades du matin. Elle l’entend qui dit à son père que l’hiver les attend. Et c’est pour ça que tu me pousses, maman, tous les matins encore, que tu me pousses à aller vite, plus vite, toujours plus vite ?

J’ai lu hier que les larmes des cerfs sont noires et odorantes, et qu’elles coulent au temps des amours. Question surtout de territoire. On dit aussi qu’on a tort de parler de larmes et qu’il faut parler d’humeur noire.

Photo – ET ME CHAVIRE LA POÉSIE DE L’AUTOMNE * Hier – Montréal 2025

Le fil du vent

C’est l’automne, dit l’un, et on attend le fil du vent.
Il est là, souffle l’autre.
Il glisse entre les feuilles pour filer l’amour blanc
et file dans les heures avec l’hiver dedans.

Photo – AU GRÉ DES PASSAGES ET DES JOURS * Hier – Montréal 2025

Les petites notes

Jeanne a dormi chez Maude. Elle a mis la grande blouse, celle que Maude laisse en suspens dans la salle de bain. Puis elle s’est rendue droit à la machine à espresso.
Sa tasse et sa main tremblent un peu. J’ai oublié les petites notes, celles qui coulent du bout des doigts. Maude ne répond rien. Elle attend d’autres mots. Elle aime la voix de Jeanne et sa chanson humaine.

Tu dis qu’on cache tous des cadavres et qu’il nous faut savoir lesquels. Mais il me faudrait faire des trous dans mes peaux de désâme. Et je préfère encore écrire.

Photo – NOS CONVERSATIONS * Hier – Montréal 2025

Simple constat

C’est peut-être une question de rien. Ou de tout. Je sais seulement qu’elle était là, à s’abreuver intensément. Comme au milieu d’une course. Pourtant, il ne faisait pas chaud. Et elle n’était pas à vélo. À pied, comme moi. Je l’ai regardée boire en faisant semblant d’être ailleurs. J’ai visé en hauteur avec mon objectif pour donner l’impression que je prenais le ciel. Elle ressemblait tant à ma soeur, mais ça ne pouvait pas être elle.
Et ce matin, le ciel est bleu. Bleu comme autant de jours d’octobre, ou presque. L’automne a été fabuleux. Je ne l’oublierai pas. Ni cette langueur qui me tient, comme une mélancolie. Une peine installée d’avance devant tout ce que j’aime et tout ce qu’un jour je perdrai.
C’est triste à publier, dit Maude. Mais j’en suis là. À ces constats de femme plus vieille qui regarde le monde en se voyant déjà partie. Ce n’est pas lourd, c’est seulement un constat. Que le temps passe et qu’il ne s’arrête jamais.
Et là, les feuilles. Dans la fenêtre à droite. L’érable en feu, qui s’abandonne au vent. C’est lui qui m’apprend tout. Ou presque.

Photo – BELLES PRÉSENCES * Octobre 2025 – Montréal

Partances

Journée grise d’automne. C’est beau et l’air est bon, mais j’ai le coeur ou l’âme qui flotte.
Hier, le ciel était strié. De blanc et de bleu. Bleu de nuages, pas de ciel. Les enfants jouaient, le soir tombait. Ça sent la défaillance, la partance de l’été.
Ce matin, il y a quelque temps, j’aurais appelé ma mère de qui c’était l’anniversaire.

Photo – SOUS LE CIEL D’HIER  * Octobre 2025 – Montréal

Laure et le reste

Je reste toujours pour le reste, me souffle Laure.
Pas pour les bouches grandes ouvertes, tombantes au détour de la nuit.
Ni pour les silences chargés.
Chaque fois je reste pour le reste.
Comme là les ruelles d’automne et les corps impossibles.
Et par paresse aussi sans doute.
Pour peu que je trouve dans le reste à mettre sous la dent de l’âme.

Photo – LE BEAU DEVANT  * Octobre 2025 – Montréal

Le vieux mot

malgré ces jours où la tristesse
en prend pour sa raison
l’automne continue
d’y tenir maison

même si rien ne sort encore
des cheminées de ville
on sent déjà venir
le froid et sa chanson

et je la chanterai

dans l’intervalle je chercherai
le vieux mot usé à la corde

je ne l’ai pas trouvé
mais je sais qu’il est tendre

Photo – MES DOUX CHEMINS DE VILLE * Octobre 2025 – Montréal

Sept octobre

Une sorte de vide, d’espace inoccupé.
De tout tenir sans rien serrer.

Si le ciel est plus gris qu’hier, la lumière change et reste belle.

À la fenêtre deux pots de verre et des tiges dans l’eau.
Il pleuvra tout à l’heure mais c’est sans histoire qui sombre.

Ça va. On s’en sort pas mal avec ça.

Photo – Hier * Montréal 2025

Inhaerens

Je l’ai vu descendre les marches la tête basse avec l’air de se demander s’il n’avait pas, peut-être, précipité les choses. Fallait-il vraiment que l’histoire se finisse de cette manière ? Rien n’est plus impossible à dire.

Maude en rajoute en demandant : faut-il vraiment rire et pleurer pour goûter à l’automne ?

Et là les feuilles qui se donnent. Et moi toujours plus bête qu’elles, je résiste aux vents du matin.

Photo – LES OMBRES DÉPOSÉES – Hier, dans une ruelle * Montréal 2025

Libertas

Il jouait du tambour dessous le viaduc. Vous le voyez de loin, du bout de ma lentille. Il jouait fort et bien. Et plus j’approchais, plus tout résonnait. La vie, le monde. Toute la folie des âmes. La grandeur infinie. La liberté aussi.

Photo – IL M’A SOURI AU PASSAGE – Hier – Montréal 2025

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