Un certain vent

Lou s’avance vers la fenêtre et l’ouvre grande. Le vent est encore déchaîné.
Charles, qui vient de se lever, entre dans la cuisine.
– T’as pas froid, mon amour?
–  Un peu. Mais je voulais voir si j’entendrais peut-être enfin, à travers les rafales, le chant d’une brise ou d’un oiseau.
– T’as entendu quelque chose?
– Une grive peut-être. Mais c’est difficile d’être sûre tellement ce vent déforme tout.
– Vrai.
Il s’approche d’elle et enroule un foulard autour de son cou.
– Je te fais un café, ma Lou?
– Oui merci, my love.
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Photo : BEAUTÉ BITUME * Septembre 2021 * Montréal

Menthe et poésie

Lou entre dans la cuisine, les bras remplis de menthe.
– J’en ai déraciné beaucoup. Les grandes marguerites étouffaient.
Assis près de la fenêtre, Charles lève les yeux de son livre.
– T’as bien fait.
Lou dépose son butin sur le comptoir, en détache un brin et va s’assoir près de lui.
– Tell me, my love, j’ai trouvé a piece of paper yesterday où t’avais griffonné « quand le jeu aura perdu sa poésie, on cessera de jouer ». À quoi tu pensais quand t’as écrit ça?
– Au poids des choses, même les belles. À mon rêve parfois d’un sac presque vide et d’une route qui ne va nulle part.
– Sans jardin ni parfum de menthe?
– Voilà l’impasse, dans toute sa poésie.

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Photo : BORD DE FENÊTRE * Ce matin

L’amélanchier

Charles vient de se lever. Debout à la fenêtre, il regarde la cour, le vieux lilas en fleurs. Lou s’approche de lui et glisse une tasse entre ses doigts.
– Ton café, my love.
– Merci.
– T’as bien dormi?
– Oui. Par morceaux, mais j’ai dormi.
Elle retourne à son livre. Lui reste là, sans bouger ni boire.
– À quoi tu penses?·
– À ma mère. Je suis content qu’elle soit partie. Qu’elle ait pas eu à vivre les brisants de cette dérive.
– I know.

Il fait plus doux depuis deux jours. La journée sera belle. Ils ont loué une camionnette pour aller chercher deux petits arbres à la pépinière.
– What do you say we plant the shadbush first? Comment on dit en français déjà… l’amélanchier?
– Oui… Tu voulais qu’on le mette dans le fond de la cour, c’est ça?
– J’aimerais ça, oui. Là où était le magnolia.

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Photo : D’ARBRE ET DE MUR – Samedi – Montréal

Tissu de mémoire

Le temps est redevenu glacial.
La météo prétend que mars sera brutal.
Comme s’il fallait le savoir d’avance, pense Lou.
Elle boit son deuxième café en regardant dehors.
Surtout les oiseaux.
Charles est resté au lit.
Ils ont parlé un peu avant qu’il se rendorme.
– J’ai pas de souvenirs de grand-chose, avait-il dit. Ils se
sont usés on dirait, comme un vieux manteau.
Elle sait qu’il pense à son père, à sa mort imminente.
– Oui, la mémoire a le don de s’effilocher.
Elle l’entend qui se lève.
Elle va vers l’armoire et en sort la tasse qu’il aime.

Photo : SANS BOTTINES – Mars 2021 * Montréal

Noir et blanc

La neige tombe de côté. Dense et lourde d’eau.
Lou s’approche de Charles, immobile devant la fenêtre. Elle le connaît assez pour savoir qu’il n’a pas dormi. Ou à peine.
– C’est dans la nuit noire, dit-il, que je mets la peur à mort.
– I know, my love.
Le couvert blanc s’épaissit à vue d’oeil.
Plus tard, ils iront marcher. Plus lentement, mais quand même.
Et le jour tiendra sa promesse.

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Photo : COEUR DE TEMPÊTE – Ce matin * Montréal 2021

Le poids de l’écureuil

Charles regarde le voisin d’en face qui tire lentement ses rideaux. Au même moment, celui d’en bas sort de chez lui, il s’en va travailler peut-être. Il vient d’emménager, il a le pas léger.

Lou s’avance derrière Charles et appuie la tête sur son dos.

– Tout ce temps à se taire, dit-il, dans un film à se dire.

Une femme passe avec son chien. Puis plus rien, on dirait. Un monde mis sur pause.

Les secondes s’écoulent immobiles jusqu’à ce qu’arrive l’écureuil, dans sa vie d’écureuil. Il saute du fil électrique vers la branche de l’érable, qui ploiera sous son poids pour compenser le lourd.

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Photo : POUR LE TRAIT DE SOLEIL – Février 2021 * Montréal

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